C’est là une face méconnue du monde de la Tech : qui aurait pu croire que derrière les algorithmes, se cachaient les sociologues ?
Deux anthropologues vont à la plage à Honolulu. Ce qui sonne comme un Kamoulox fut pourtant une scène ordinaire sur la Kalakaua Avenue à Hawaii début octobre dernier lors de la conférence EPIC. Pourtant, pas question ici d’étudier “les usages vernaculaires du surf sur la plage de Waikiki” mais de se réunir pour discuter méthode… et business ! En effet, quoi de mieux que la capitale de l’État insulaire américain pour accueillir la grand-messe mondiale des sciences sociales appliquées en entreprise ?
À EPIC, ce sont donc plus de 600 spécialistes de sciences sociales qui se sont réunis pour discuter de leur pratique. Leur provenance ? Intel, Google, Amazon, Facebook, Microsoft, Uber, Spotify (rien que ça). Le thème de l’année : Evidence, la preuve. On y discute méthodologie, hybridations disciplinaires, bonnes pratiques, éthique de la recherche. Et il faut le dire, voir un social scientist de chez Uber citer Bourdieu dans un case study ne manque pas de piquant… Lors de la fondation de la conférence il y a 15 ans, ils n’étaient qu’une trentaine à se réunir. Ces dernières années EPIC n’attirait pas beaucoup plus de 150 spécialistes. Cette année, ce sont 600 chercheurs en sciences sociales qui ont fait le déplacement. La grande majorité d’entre eux travaille en Amérique du Nord, dans les GAFA. C’est là une face méconnue du monde de la Tech : qui aurait pu croire que derrière les algorithmes, se cachaient les sociologues ?
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Aujourd’hui la leçon est tirée, on compte plus de 100 chez Intel et ses équipes sont parmi celles les plus écoutées de la direction. Mais l’engouement pour les sciences sociales n’est pas l’apanage du fabricant de semi-conducteur : Twitter est en pleine recherche de son futur dirigeant de la recherche en sciences sociales. Chez Facebook aujourd’hui, ce sont plus de 400 chercheurs dans ce domaine qui travaillent à temps plein. Ils n’étaient que 20 en 2006. Même schéma chez Uber. Molly la directrice de la recherche raconte que sous l’ère Kalanick, il y a encore 2 ans, il n’étaient que 15 social scientists, aujourd’hui ils sont plus de 70 et recrutent encore. Idem chez Spotify. Il y a encore 3 ans, la recherche dans la start-up suédoise se résumait à 6 sociologues dans un bureau. Ils sont aujourd’hui plus de 130 directement intégrés aux équipes produits. Au-delà des effectifs, l’évolution de la fonction est particulièrement notable : de plus en plus près des niveaux le plus opérationnels dans l’entreprise.
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De l’intérêt des sociologues
Cet attrait renouvelé de la Silicon Valley pour les sciences sociales et surtout pour leur portée opérationnelle n’est pas un hasard. Il intervient au moment où retombe la fièvre accumulatrice du Big data. En effet, à la promesse d’une connaissance infinie gisant dans la data, chacun doit bien reconnaître que le déploiement de capacités à collecter, stocker, agréger et analyser des volumes faramineux de 0 et de 1 n’a pas répondu à l’objectif fixé. Les données récoltées se sont retrouvées plus pauvres et plus sales qu’on ne l’escomptait. Passé le calvaire de leur traitement, leur analyse pose au moins autant de questions qu’elle en résout. Plus que de chiffres, les entreprises de la Silicon Valley se sont rendues compte qu’elles avaient besoin de sens, à tous les niveaux de prise de décision. D’où le recours aux sciences sociales et à des modèles vertueux de collaboration pluridisciplinaires : utiliser les méthodes ethnographiques pour générer des hypothèses statistiques et chercher des explications aux résultats chiffrés par des recherches qualitatives.
Le modèle le plus abouti se trouve très certainement chez Spotify. La recherche se fait en équipes mixtes dans lesquels social scientists et data scientists travaillent en binômes, afin de produire la connaissance la plus complète possible mêlant analyse statistique et anthropologique afin d’orienter au mieux les prises de décisions et d’explorer de nouvelles perspectives business. Du reste, les résultats ne se sont pas fait attendre : ce sont les recherches de ces équipes mixtes qui ont abouti à la sortie d’une nouvelle offre à destination des artistes sortie l’année dernière leur permettant de gérer leur carrière sur la plateforme.