Tribune de Alain Policar, politiste, chercheur associé au Cevipof (Sciences-Po).
L’accueil des migrants doit être compris comme l’élément central d’une théorie de la justice globale. Limiter la solidarité aux frontières nationales revient à dénaturer le concept de citoyenneté.
Alors que se développent, à gauche, des discours antimigrants, fondés «théoriquement» sur la préservation des droits des travailleurs autochtones, lesquels seraient menacés par l’arrivée de populations étrangères pauvres exerçant une pression à la baisse sur les salaires, il convient de dire pourquoi on ne peut être de gauche et, sous prétexte de protéger le prolétariat national, entretenir la méfiance et, au-delà, la xénophobie envers les migrants.
Je ne reviendrai pas ici sur les arguments strictement économiques développés, à rebours de cette vision simpliste, par le rapport de la Drees (ministère des Solidarités et de la Santé) de 2010 ou encore en 2011 par le Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), particulièrement instructif puisqu’il émet l’hypothèse que les flux migratoires, plutôt que de remettre en cause nos acquis sociaux, pourraient sauver notre système de protection sociale, ou, enfin, en juin 2018, par l’étude publiée dans la revue scientifique Science Advances. Les enseignements de ces travaux sont certes précieux, mais j’entends ici me placer sur le seul terrain de la philosophie politique. […]
Notre expérience ordinaire du monde est celle des migrations. Patrick Chamoiseau ne définit-il pas l’être humain comme Homo migrator ? Expérience qui nous impose de considérer le sort réservé aux migrants, c’est-à-dire de combattre les représentations qui les décrivent comme ceux qui violent les frontières et bouleversent l’ordonnancement des nations. […]