Libération vous avait déjà raconté comment les interpellations massives (voire «préventives») de gilets jaunes étaient devenues la norme au cours des précédents samedis de mobilisation. Vous saisissiez alors CheckNews sur la sévérité supposée de la justice ou de la police, qui aurait par exemple arrêté un homme juste parce qu’il avait un gilet jaune dans sa voiture (c’était en fait un peu plus compliqué). Il n’en fallait pas plus pour que de nombreux internautes prennent pour authentique le document ci-dessous : il s’agirait d’une lettre d’une page signée de la main de la ministre de la Justice Nicole Belloubet et adressée aux procureurs.
Cette lettre est en fait un faux, selon des sources concordantes. Le porte-parole de la Chancellerie Youssef Badr tweete d’ailleurs, le soir du 23 décembre, que ce document est apocryphe : «Cette circulaire est fausse. De l’entête jusqu’à la signature. À l’exception de la police d’écriture. En la parcourant on peut lister les erreurs. Et pour comparer, on peut aller sur le site du JO où sont publiées les circulaires.» Un tour sur les sites législatifs officiels (comme Légifrance) permet par exemple de constater que le faux document ne comporte pas de numéro de circulaire, alors que les vraies en sont dotées.
Une magistrate contactée par CheckNews abonde. Plusieurs éléments lui ont permis de détecter le faux: «La citation du président de la République et du Premier ministre au début, les fautes de typographie (majuscules), le fond qui ne pourrait jamais être écrit comme cela (demander de la bienveillance pour des actes ayant conduit à des décès).»
Effectivement, les termes de “gilets jaunes” ne prennent pas de majuscule dans la dernière circulaire de la Chancellerie, datée du 22 novembre, mais ils en ont dans le faux document. Dans celui-ci, le mot «Province» (par opposition à Paris) commence également par une majuscule, alors que ce n’est pas le cas dans une récente circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces que CheckNews a pu consulter. Ces deux vraies circulaires sont adressées aux procureurs, et dépassent largement une page de longueur contrairement au faux qui nous préoccupe. A l’inverse de ce dernier, elles listent des infractions précises que sont susceptibles de commettre les manifestants.
Loin d’appeler à la clémence pour les automobilistes et à la sévérité contre les gilets jaunes, la circulaire du ministère du 22 novembre les place d’ailleurs sur le même plan : «Outre les dispositions concernant les infractions d’atteintes aux forces de l’ordre susceptibles d’être retenues dans le cadre de mouvements collectifs et celles relatives aux auteurs de vols ou de dégradations, il pourra, selon les circonstances, être spécifiquement recouru aux qualifications suivantes qu’il s’agisse de participants aux manifestations ou de conducteurs cherchant à forcer les barrages.» Selon un décompte du Parisien, neuf des dix morts depuis le début du mouvement des gilets jaunes le sont à cause d’accidents de la route, souvent au niveau de barrages.