Deux jours après l’attaque qui avait endeuillé la rédaction de Charlie hebdo, le terroriste Amedy Coulibaly entre à 13 heures dans l’Hyper Cacher armé d’un fusil d’assaut Kalachnikov, deux pistolets mitrailleurs Skorpion, deux pistolets Tokarev et 15 bâtons de dynamite. Il porte également deux gilets pare-balles. Il tue immédiatement trois personnes, puis une quatrième avant de prendre 17 personnes en otage. En salle de commandement de la police, la riposte s’organise aussitôt.
Deux policiers en service lors de l’intervention de l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015 ont raconté à RT France cette journée comme ils l’ont vécue. En 2015, la France ne semblait pas prête à une telle situation, mais l’est-elle aujourd’hui ?
Un policier, présent en salle de commandement
Il y a au moins deux problèmes dès le commencement de l’intervention.
D’une part, l’Hyper Cacher se trouve sur le secteur du XXe arrondissement de Paris, mais à la limite du Val-de-Marne, qui se trouve du l’autre côté du trottoir, il y a donc deux juridictions de police à l’œuvre sur la même intervention.
(…)On ne sait pas encore qui est responsable de l’attaque. On ignore encore où se trouvent les frères Kouachi, on pense que ça peut être eux. Il y a un gros moment de flou, on bloque les grands axes routiers du nord de Paris… Puis, il est établi qu’il s’agit d’un homme noir. On comprend donc que ce ne sont pas eux.
Le Val-de-Marne prend la décision de couper le périphérique qui n’est pourtant pas sous sa responsabilité. Cela déplaît à Paris
Le rideau de fer de la supérette se baisse et là, ça devient le bordel. Des effectifs parisiens se positionnent d’un côté du magasin, et ceux du Val-de-Marne de l’autre.
Plusieurs conférences radio sont alors mises en place, une pour Paris et l’autre pour le Val-de-Marne. Des heures passent avant que les policiers se décident à travailler sur la même conférence.
La situation de prise d’otage des frères Kouachi se confirme à Dammartin-en-Goële et c’est le GIGN qui est aux commandes là-bas. Or les deux assauts seront forcément liés parce qu’une des premières revendications de Coulibaly est de laisser partir les Kaouchi de l’imprimerie où ils se sont retranchés. Si un assaut est lancé là-bas, celui de l’Hyper Cacher doit être lancé simultanément.
Il y a une gradée qui hurle dans la conférence parce que les collègues font des demandes prioritaires pour tout et n’importe quoi. A un moment, dans une situation terroriste, tout devient prioritaire, le moindre passant, le moindre signalement, parfois mal-intentionné, d’un individu suspect qui rôde autour d’une école. Alors quelqu’un demande à la gradée en question de garder son sang-froid. Cela marche, elle redescend. Heureusement, parce que le stress dans la voix à la radio, ça s’entend et ça peut vite virer à la catastrophe si tout le monde panique.
La Brigade de recherche et d’intervention (BRI) et le RAID prennent également position. Le temps se fige, plusieurs heures s’écoulent. Les policiers abandonnent les caméras de surveillance de la ville de Paris et se résolvent à regarder les chaînes d’information continue pour suivre la situation.
Une autre source policière, formée au niveau 2 (formation à la tuerie de masse)
Sur le papier, Coulibaly est neutralisé, il n’y a pas de mort côté police et les victimes ne sont pas tuées au cours de la prise d’otage à proprement parler.
Mais sur le terrain, c’est un échec complet.
Quand l’assaut de Dammartin-en-Goële est lancé, le rideau de fer du magasin se lève et Coulibaly sort pour l’assaut final. Un collègue du RAID progresse avec sa colonne, mais il est menacé par un explosif qui a été lancé. Une colonne, elle, avance sans reculer. Elle ne recule jamais, car il faut progresser, pas rester planté comme un piquet. Donc, acculé, le gars choisit une autre voie et il passe devant Coulibaly… Il traverse donc le champ de tir de tous les collègues autour et se prend un paquet de balles dans son gilet qui sont destinées au terroriste !»
Les collègues savent se servir du HK-G36, mais ils ne savent pas se comporter dans un contexte terroriste
La doctrine est écrite noir sur blanc, sur le papier, mais le terrain, c’est autre chose. Il faut s’adapter en direct. Ce travail-là ne s’invente pas il faut une formation précise et une expérience.
D’ailleurs en salle de commandement, c’est un gardien de la paix qui gérait tout parce que c’était simplement lui qui avait commencé à gérer le début de l’intervention. Il faut avoir la vision de tout ce qui se passe à ce moment-là, se souvenir des endroits précis où on a placé ses hommes. C’est de la stratégie, comme aux échecs. La vue globale est le nerf de la guerre. Certaines personnes ne savent pas faire.
On est trop d’intervenants aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui n’ont pas été assez bien formés mais qui sont niveau 2. Techniquement, les collègues savent se servir du HK-G36, ils savent tirer avec, mais ils ne savent pas se comporter avec dans un contexte potentiellement terroriste. (…).
La mission du RAID, auparavant, c’était de régler les situations qui mettaient en scène un retranché. Souvent, ils n’avaient même pas besoin de tirer, tout se réglait en négociations. Mais dans un contexte de prise d’otage commise par un terroriste, c’est très différent, les motivations sont tout autres. Le suspect va vouloir tuer le maximum de monde et défoncer du flic avant de mourir en martyr. Psychologiquement, ça change tout. La négociation ne sert à rien dans ce cas-là et les flics savent qu’ils vont prendre du plomb.