Editorial du « Monde ». Dans leur rapport annuel, les magistrats financiers jettent un sérieux doute soit sur la capacité du gouvernement à tenir ses engagements, soit sur sa capacité à le faire sans aggraver davantage la dérive des comptes publics.
Rituel, le rapport annuel de la Cour des comptes, rendu public mercredi 6 février, n’en est pas moins cruel. Au beau milieu du grand débat national engagé par le président de la République pour tenter de sortir de la crise des « gilets jaunes » et à quatre mois d’élections européennes à haut risque, les magistrats financiers adressent une double mise en garde au gouvernement : d’une part sur la dérive négative des comptes publics, d’autre part sur la solidité des promesses faites en décembre 2018 pour apaiser la fronde sociale.
Sans surprise dans un pays qui vit à crédit depuis plus de quarante ans, le premier avertissement porte sur l’équilibre, ou plus exactement le déséquilibre des comptes publics. En effet, le budget pour 2019 prévoyait initialement un déficit public de 2,8 % du produit intérieur brut (après 2,7 % en 2018) et le gouvernement pouvait, en outre, arguer que cette prévision intégrait, cette année, la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en baisses de charges, soit près de 1 point de PIB. (…)
Misère et dérapages des villes de banlieue
La Cour des comptes décrit l’extrême fragilité économique et sociale des “quartiers” d’Ile-de-France et dénonce le dérapage de la ville de Bobigny.
(…) En mai, c’était un rapport parlementaire qui concluait à la faillite manifeste de l’Etat en Seine Saint Denis. La Cour des comptes ajoute donc sa pierre à l’édifice : les difficultés des banlieues sont ” structurelles “. Elle décrit d’abord la situation d’extrême fragilité d’une population jeune et sans le sou, qui laisse les communes sans ressources suffisantes. Les recettes fiscales et les tarifs sont faibles, eu égard à la pauvreté des habitants mais aussi pour ne pas faire fuir les rares ménages imposables ” déjà peu nombreux “. En face, les besoins sont immenses. A Grigny ou Sarcelle par exemple, la compétence scolaire pèse un tiers et un quart des dépenses de fonctionnement, contre 15% ailleurs. (…)
Or, face à ces défis, la rue Cambon pointe les manquements des élus locaux à maîtriser la dépense publique, en particulier dans leur gestion du personnel. (…) La masse salariale, supérieure de 34% à celle de ses homologues, pèse 64% du budget. Voilà qui rigidifie toute action publique et engloutit toute tentative de redressement, déplore la Cour.
Des urgences à bout de souffle incitées … au gâchis
Souffrant de pénuries de médecins, les urgences sont à bout de souffle, pointe la Cour des comptes. Problème : les hôpitaux qui renvoient vers des cabinets médicaux les patients relevant de consultations classiques sont pénalisés financièrement.
Fait rarissime, la Cour des comptes alerte sur le manque de moyens d’un service public. Les urgences hospitalières, qui coûtent 3,1 milliards par an et accueillent quelque 21 millions de patients, souffrent d'”un sous-effectif médical générateur de tensions dans un nombre croissant d’établissements”, pointe-t-elle, cinq ans après un premier rapport alarmiste. L’équation est implacable: en à peine quatre ans, le nombre de patients a bondi de 15%, tandis que les effectifs de médecins diminuaient… Résultat, les hôpitaux se ruinent en heures sup’, mieux payées, et recourent à de coûteux médecins intérimaires qui peuvent gagner jusqu’à 1.300 euros net la journée !
Hausse des recettes proportionnelle au nombre de patients
Pis, les urgences ne sont pas incitées à réorienter les cas légers vers des médecins de ville, dès lors que leurs recettes progressent proportionnellement au nombre de patients. Avec un gâchis d’argent public à la clé: le coût pour l’Assurance maladie d’une consultation s’élève à 25 euros chez un médecin de ville et à 115 euros aux urgences. L’écart varie de 71 à 150 euros pour les consultations de nuit. Comble de l’ubuesque, les établissements bons élèves sont perdants. L’hôpital Robert Debré à Paris, qui a noué un partenariat avec des médecins de ville pour désengorger ses urgences de 20.000 patients par an, a ainsi vu ses recettes fondre de 2,3 millions d’euros. (…)
Alcool, absentéisme, ratages : la Cour des comptes critique le Mobilier national et la Manufacture de Beauvais
La Cour, dont le précédent contrôle est intervenu en 1997, préconise dans son rapport 2019 une “profonde transformation” de l’institution – qui emploie 350 agents et dont “le coût budgétaire s’établit à 25 millions d’euros” – ou son éclatement entre la création, la gestion des objets et l’ameublement.
“Guerre des colles” et ratages
Comme illustration des activités incompatibles au sein du Mobilier national, la Cour cite “la guerre des colles” menée entre les conservateurs privilégiant les colles animales utilisées depuis le XVIIIe siècle, moins adhérentes mais réversibles aux colles vinyliques apparues après 1945 largement utilisées par les techniciens dans les ateliers formés à la création et non à la restauration.
En 2016, un fauteuil “Vaudreuil” réalisé par le plus grand menuisier en sièges du règne de Louis XVI, Georges Jacob, estimé à un million d’euros, a vu sa valeur amputée à la suite d’une restauration malheureuse.
Le rapport pointe aussi un “taux d’absentéisme singulièrement élevé”, des “quantités importantes d’alcool” sur les lieux du travail ou encore “la perruque”, c’est-à-dire l’utilisation par des employés des outils pour effectuer des travaux autres que ceux pour lesquels ils sont payés.
L’atelier de recherche et de création a vu son rythme de production dégringoler depuis 2011 : si en 52 ans il a produit 1.041 objets, soit 20 par an, seulement 25 objets ont été réalisés en sept ans, soit 4 par an dont plus des trois quart sont inutilisés, précise la Cour. (…)
Trop de frais de fonctionnement et de personnel : la Cour des comptes préconise la fermeture de 38 centres de formation de l’Afpa
Une restructuration de grande ampleur de l’Afpa (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) est indispensable, estime la Cour des comptes dans son rapport annuel publié mercredi 6 février, sous peine de voir disparaître cette institution créée en 1949. La Cour épingle notamment le versement par l’Etat de plus de 360 millions d’euros d’aides exceptionnelles ces dernières années, sans lesquelles l’Afpa aurait été en cessation de paiement.
L’Afpa coûte trop cher : c’est en quelque sorte la conclusion de la Cour des comptes. Trop de frais de structures, trop de charges de personnel, avec notamment la présence de 33% de cadres dans les effectifs, ce qui la rend moins compétitive que ses concurrents sur le vaste marché de la formation professionnelle.
La Cour cite notamment l’exemple du plan “500 000 formations” lancé par le gouvernement Hollande en 2016, qui aurait dû lui profiter en termes de recettes. Le surplus d’activité généré par ce plan a bien rapporté environ 50 millions d’euros à l’Afpa, mais il a occasionné 40 millions de charges de fonctionnement supplémentaires. (…)
Rapport annuel public de la Cour des comptes