L’Allemagne continue sa percée en Afrique. Dans les pays francophones, elle jouit, selon une récente étude, de la meilleure image auprès des leaders d’opinion, au détriment de la France. Explications avec un spécialiste des problématiques africaines.
La France perd de son influence en Afrique francophone, tandis que l’Allemagne en gagne. Selon le nouveau baromètre du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), publié le 7 février, le pays d’Angela Merkel bénéficie de la meilleure image auprès des leaders d’opinion d’Afrique francophone : sur 1 244 d’entre eux interrogés, 45 % ont cité l’Allemagne. La France ne vient qu’en 5e position, avec 21 % d’opinions favorables, et se classe derrière, dans l’ordre, la Chine, les États-Unis et le Japon. Edgard Kpatindé, spécialiste en intelligence économique et des échanges économiques en Afrique de l’Ouest et centrale, analyse pour France 24 le recul de l’ancienne puissance coloniale sur le continent.
France 24 : L’Allemagne gagne du terrain en Afrique. C’est elle qui bénéficie de la meilleure image auprès des leaders d’opinion en Afrique francophone. La France, partenaire historique de cette partie du continent, est reléguée au cinquième rang. Comment peut-on expliquer cela ?
Edgard Kpatindé : La France souffre d’énormément de choses. Il y a l’usure dans les relations franco-africaines. Il n’y a plus le génie qui caractérisait l’esprit français. Les idées ne se renouvellent plus. Lorsque vous êtes persuadé que telle partie du globe vous appartient, vous ne faites plus aucun effort pour vous adapter aux dynamismes des sociétés. La France oublie que les sociétés africaines sont dynamiques, qu’elles bougent. La vision française est restée statique. Mais les grandes entreprises françaises sont toujours présentes sur le continent.
Pourquoi ce nouvel intérêt de l’Allemagne pour l’Afrique ?
Il y a la crise migratoire qui inquiète. Angela Merkel a été sanctionnée politiquement pour cela. L’Allemagne recherche une nouvelle forme de coopération qui pourra maintenir les jeunes candidats au départ chez eux. Il y a aussi une préoccupation liée au sentiment antifrançais qui se développe sur les réseaux sociaux, et même chez certaines élites africaines. Cela créé un environnement hostile à tout ce que la France entreprend. L’Allemagne en est bien consciente aussi. […]
La France ne pâtit-elle pas aussi de l’image qu’elle donne auprès des nouvelles générations africaines, surtout en ce moment de grandes polémiques sur le franc CFA ?
Le mouvement antifrançais, qui a commencé il y a une dizaine d’années, remet en cause les fondamentaux des relations franco-africaines, comme la monnaie. Mais pour ma part, je pense que les choses sont plus compliquées que cela. Je ne pense pas que ceux qui se soulèvent contre le franc CFA aient pris la peine d’étudier réellement quels seront les impacts si nous mettions fin à cela du jour au lendemain.
On peut démarrer un processus qui aboutisse un jour. Mais lorsque je vois des pays qui sont incapables de gérer leur budget et qui tendent la main pour demander des aides budgétaires d’urgence à la France ou ailleurs, je les vois mal gérer un nouveau franc, quel que soit le nom qu’on lui donnera et quelles que soient les conditions dans lesquelles cette nouvelle monnaie verra le jour. […]
Qu’est-ce qui fait la différence aujourd’hui entre l’Allemagne et la France ?
L’Allemagne rassure. Elle est très rationnelle et n’est pas dans le paternalisme. L’Allemagne profite des erreurs que les Français ont commises et adapte sa coopération avec les pays africains. Les Allemands ont l’organisation et la méthode de travail.
Pourtant, le président Emmanuel Macron voulait rompre avec les relations sulfureuses de la Françafrique. Il a notamment mis en place il y 18 mois, le Conseil présidentiel pour l’Afrique pour impulser une diplomatie économique plus vertueuse.
Il y a peut-être une volonté mais le constat est là : cela ne marche pas pour le moment. Il y a ceux qui n’ont jamais participé aux réunions, ceux qui ont démissionné. La France a des ambassadeurs dans tous les pays africains. Est-ce que le Conseil présidentiel pour l’Afrique se substitue aux remontées d’informations des ambassades ? On ne perçoit pas vraiment leur rôle. La méthode de travail, la France ne l’a plus sur le continent et cela favorise l’émergence d’autres puissances, comme l’Allemagne. […]