L’Algérie, le Maroc et la Tunisie sont confrontés, comme plusieurs pays européens, dont la France, à la question épineuse du “retour” de ressortissants ayant combattu dans les rangs de l’organisation État islamique (EI), et détenus en Syrie.
L’annonce soudaine par le président Donald Trump, en décembre, d’un prochain retrait militaire américain de Syrie a en effet déclenché un compte à rebours pour les pays dont des ressortissants ont été arrêtés par les Kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliées des Occidentaux dans la lutte contre le groupe jihadiste.
Une décision qui risque de voir les détenus jihadistes échapper au contrôle des Kurdes et représenter une nouvelle menace sécuritaire. Si l’administration américaine, qui encourage leur rapatriement, s’est dite prête à envisager plusieurs pistes logistiques pour s’adapter aux contraintes de chaque gouvernement concerné, certains pays du Maghreb sont explicitement défavorables à tout retour organisé. S’ajoute également la problématique des femmes non combattantes et les enfants, en attente d’un rapatriement.
Au Maroc, la politique actuelle veut qu’à leur retour, les jihadistes partis combattre à l’étranger sont systématiquement interpellés, jugés et incarcérés.En 2015, le nombre de Marocains recensés dans les rangs de groupes jihadistes en Irak et en Syrie était estimé à plus de 1.600. […] Les ressortissants marocains qui rentrent sont arrêtés et écopent de peines allant de 10 à 15 ans de prison. Plus de 200 “revenants” avaient été interpellés et traduits devant la justice à la mi-2018, selon des chiffres officiels.Concernant la question éventuelle d’un retour organisé, en juillet, plusieurs médias locaux avaient indiqué que le Maroc avait refusé de rapatrier les veuves et les orphelins des jihadistes marocains présents en Syrie. Un principe non-contredit jusqu’ici.
Du côté de l’Algérie qui a également connu ces dernières années des départs de jihadistes, mais dans une moindre mesure par rapport à ses voisins, les autorités ne cherchent pas à récupérer ses ressortissants. Pour ceux qui tenteraient de revenir, “c’est directement la case prison”, a confié une source sécuritaire sous le couvert de l’anonymat.
Aucun chiffre officiel n’est connu sur leur nombre, ni sur d’éventuels retours de combattants algériens. Toutefois, une source judiciaire citée par l’AFP avance le nombre de 205 individus “recherchés pour terrorisme à l’étranger fin 2017“. “La majorité sont (présumés) morts en Libye et dans les pays du Sahel, une soixantaine en Syrie et quelques uns en Irak”, a-t-elle ajouté.
Enfin, la Tunisie, toujours sous état d’urgence suite à la vague d’attaques terroristes de 2015 et 2016, s’oppose elle aussi catégoriquement à tout rapatriement de combattants et refuse de faciliter leur retour. Selon Tunis, au moins 800 jihadistes étaient déjà revenus par leurs propres moyens fin 2016, et se trouvaient alors détenus ou sous haute surveillance.
Le sujet est très sensible dans ce pays où le pouls de l’opinion publique est particulièrement pris en compte. Début 2017, un débat public avait agité la société et un millier de personnes avaient manifesté pour s’opposer à tout retour, estimant que ces Tunisiens représentaient une grande menace pour la sécurité nationale.
Ces dernières années, les autorités ont évoqué le chiffre de 3.000 Tunisiens partis combattre à l’étranger aux côtés d’organisations jihadistes. Soit le plus important contingent de jihadistes en provenance d’un pays maghrébin. Un groupe de travail de l’ONU a lui parlé de plus de 5.000.
Les autorités tunisiennes ont entamé des démarches pour rapatrier des enfants de jihadistes, notamment ceux partis combattre en Libye. Mais leurs efforts restent largement “insuffisants” selon l’ONG internationale Human Rights Watch (HWR), qui a dénoncé, le 12 février dans un texte documenté, la situation de familles en Syrie.
“Même si la Tunisie n’est pas le seul pays qui rechigne à aider ces femmes et ces enfants à rentrer chez eux (…) c’est la Tunisie qui a le plus de ressortissants dans cette situation“, avance l’organisation qui relève notamment qu’environ 200 enfants et 100 femmes tunisiens sont “détenus dans des prisons et camps sordides en Libye, Syrie et Irak“.
“La Tunisie attache une importance particulière” au cas des enfants détenus, étant “fermement convaincue de la valeur des droits humains”, a répliqué le ministère des Affaires étrangères auprès de HRW. Il a ajouté que “le gouvernement ne refoulerait pas de détenus dont la nationalité est établie, notant que la Constitution tunisienne interdit de réfuter ou de retirer la nationalité ou d’empêcher ses citoyens de revenir dans leur pays“. Toujours est-il qu’aucun rapatriement n’a eu lieu de Syrie ni d’Irak, insiste HRW.
Reste à savoir si Algériens, Marocains et Tunisiens pourront résister à la pression grandissante des États-Unis. “Nous appelons tous les pays à passer à la vitesse supérieure et à assumer la responsabilité de leurs ressortissants partis en Syrie pour combattre avec l’EI”, a récemment déclaré un responsable américain sous couvert de l’anonymat. “Le créneau” pour organiser leur retour “avec le soutien de Washington est en train de se refermer rapidement“, a-t-il ajouté.
Alors que le groupe EI est en passe de perdre son dernier bastion en Syrie, et que la perspective d’un retrait américain se précise, la pression risque fort de monter d’un cran dans les prochains jours. “Ce n’est pas la responsabilité des FDS ou des États-Unis de trouver des solutions pour les centaines de combattants terroristes étrangers détenus par les FDS”, a tonné le coordinateur du contreterrorisme au département d’État, Nathan Sales, appelant les pays concernés à “ne pas attendre que d’autres résolvent le problème à leur place”.