Retour sur une menace qui pèse sur le féminisme contemporain, ou plutôt une façon de le stigmatiser en le décrivant comme une idéologie « blanche », purement « occidentale », voire foncièrement « impérialiste ».
Paradoxalement, on retrouve aujourd’hui cette accusation aussi bien chez les prédicateurs islamistes que chez certains intellectuels qui se réclament du militantisme dit « post-colonial ». Or ce procès vient de loin, et pour l’évoquer je voudrais rendre hommage à une autre grande figure du féminisme américain, qui est morte il y a deux ans et que Gloria Steinem a bien connue, je veux parler de Kate Millet.
En 1979, Kate Millett est invitée à Téhéran par des Iraniennes qui s’apprêtaient à célébrer pour la première fois la journée du 8 mars. A ce moment-là, la révolution islamique vient de triompher, et Kate Millett s’en félicite, elle qui a fait campagne contre le régime du Shah et pour la libération de ses opposants. Son enthousiasme est d’autant plus fort, quand elle arrive, qu’elle sait le rôle-clef joué par les Iraniennes dans l’insurrection. Kate Millet les admire toutes, dans la diversité de leur présence, et elle évoque notamment, je cite, la « superbe image d’une femme seule sur un toit, en tchador, un vêtement magnifique ».
Mais si la révolution iranienne est largement l’oeuvre de femmes vêtues comme bon leur semble, la répression islamique va bientôt réserver la rue à celles qui portent le tchador. A toutes les autres, qu’ils considèrent comme des prostituées, les milices du nouveau pouvoir ne laissent qu’une alternative : « Le foulard ou la raclée ! » Dans son bouleversant récit intitulé En Iran, Kate Millett raconte cela. Elle décrit les escouades qui sabotent les défilés féminins par tous les moyens. Elle dit les cris, les grimaces, les coups de couteau. Et elle souligne que pour les mollahs le féminisme n’est qu’une perversion occidentale.
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