Daniel Borrillo est l’auteur de : Disposer de son corps. Un droit encore à conquérir (Textuel, 2019).
En faisant du droit de l’enfant à connaître ses origines la condition «sine qua non» du droit à la PMA, le législateur fait émerger un dernier avatar de la biologisation du social.
Tribune. Le projet de loi de bioéthique, qui intégrera la question de l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ainsi que l’accès aux origines, sera présenté au mois de juin en Conseil des ministres, a assuré le Premier ministre Edouard Philippe. A la lecture des différents rapports qui précèdent ledit projet de loi, une impression de retour à une conception biologique de la filiation se dégage nettement. Et pour cause, les lois ne se font plus au nom de la liberté ni au nom de l’égalité et encore moins au nom de la fraternité… Au moment même où la notion de famille est réinvestie politiquement (pacs, mariage pour tous, homoparentalité, pluriparentalité…), une nouvelle forme de naturalisation de la filiation reposant sur la valorisation de la différence des sexes et les origines génétiques émerge sur la scène publique. Les principes politiques, consacrés par les grands postulats des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ont été sacrifiés au non d’une expertise psychologico-anthropologique mobilisée non pas pour justifier in concreto, la fabrication d’une norme juridique mais pour établir, in abstracto, son fondement. En effet, aucune analyse statistique, aucune étude de cas, aucune donnée empirique, rien de descriptif ne fut mis en avant par la mission parlementaire pour conditionner l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules au droit de l’enfant à connaître ses origines. En revanche, une autre rationalité de type prescriptive émerge clairement de la lecture des différents rapports préparatoires de la loi. Elle produit une réponse univoque : oui à la PMA pour toutes à condition de retrouver symboliquement un soubassement naturel de la parenté par la mise à mort de l’anonymat du don des gamètes.
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Autrement dit, pour pouvoir intégrer une famille monoparentale ou homoparentale, la loi doit préalablement garantir à l’enfant l’accès à la vérité de son engendrement. Cette entreprise, connue sous le nom d’ordre symbolique de la différence des sexes, est profondément conservatrice. D’une part, elle réactive le vieux mécanisme idéologique consistant à fonder l’ordre juridique sur une réalité extérieure à la volonté individuelle et s’imposant à elle. D’autre part, un principe d’autorité, fondé in abstracto sur un a priori anthropologique, fait de la filiation non pas une règle d’organisation des générations mais la matrice régulatrice de la vie psychique et sociale. Contrairement à d’autres pays, en France, l’accès aux origines n’est nullement abordé comme un simple droit à l’information. Chez nous, il s’agit de donner aux enfants le droit de pouvoir «fantasmer une scène de naissance plausible» de pouvoir «élaborer à partir de la différence sexuelle son origine psychique».Comme toute prérogative, elle a nécessairement une contrepartie : l’obligation de lever l’anonymat. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un choix mais d’une contrainte. Cette logique mettra un terme à l’accouchement sous X, à l’adoption plénière et surtout à la ligne de partage entre filiation et reproduction, entre culture et nature, si chère à la philosophie moderne. Tout donneur doit savoir que, désormais, on peut «frapper à sa porte» pour lui signaler un engendrement, et toute personne ayant recouru à une PMA doit savoir qu’une présence (celle du donneur ou la donneuse) planera constamment dans sa vie familiale. Le projet de loi qui se profile va créer ainsi une sorte de pluriparentalité non juridique faisant du donneur de sperme ou de la donneuse d’ovocyte, un cogéniteur évitant ainsi de «déconnecter la filiation de la dualité des sexes» et en permettant que «l’enfant élabore psychiquement un engendrement par la différence des sexes», comme le propose l’expertise psychanalytique. Dorénavant, les homosexuels ou les parents célibataires ont le droit de se reproduire à condition toutefois que la loi désigne clairement que derrière toute filiation «mensongère» (comme disent les experts) existe bel et bien une vérité de l’engendrement. Formidable ruse de la raison conservatrice que d’avoir refondé symboliquement la famille sur les liens du sang et d’avoir biologisé l’identité de l’individu et le tout avec la terminologie «moderne» de la psychanalyse.