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Pourquoi s’intéresser à [la radicalisation non violente] plus particulièrement ?

La radicalisation non violente est le cheval de Troie de la radicalisation violente. Il nous semble capital de comprendre la première, que nous appelons la radicalisation oubliée, pour comprendre la seconde. On nous fait croire souvent que, subitement, une personne a commis un acte criminel. Je n’en suis pas convaincu. Au regard des rares recherches dont nous disposons sur le sujet, il y a un processus de construction identitaire qui s’inscrit nécessairement sur une longue durée.

Nous ne basculons pas comme cela dans la violence, à moins d’être malade. Dans un rapport de 2016 du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, Tobie Nathan [ethnopsychiatre, auteur du livre Les Âmes errantes] montre que sur les 60 candidats français au jihadisme qu’il a suivis, donc radicalisés et violents, seuls 6 d’entre eux, soit 10%, souffrent d’un trouble psychiatrique. Alors que fait-on des 90% restants ? Aujourd’hui, la radicalisation violente n’est perçue que d’un point de vue psychologique et juridique, pas d’un point de vue sociologique et anthropologique.

Interrogés par franceinfo, les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de l’Education nationale estiment que la notion de “radicalisation non violente” n’est pas pertinente. Qu’en pensez-vous ?

Il faut faire la distinction entre radicalisation violente et radicalisation non violente parce que cette dernière, aujourd’hui, ne peut pas faire l’objet de sanctions juridiques alors que la radicalisation violente, via l’apologie de valeurs antirépublicaines, l’apologie du terrorisme ou l’incitation au trouble à l’ordre public, est encadrée juridiquement. Ce que nous disons, c’est que la radicalisation non violente ne peut pas faire l’objet de sanctions juridiques, mais qu’il faut bien trouver des réponses. Si les pouvoirs publics ne font pas le distinguo, ils ne peuvent pas comprendre le phénomène et ne peuvent pas agir.

Il existe un plan national pour la prévention de la radicalisation, des stages de sensibilisation à la citoyenneté… Peut-on vraiment dire que les autorités n’agissent pas en amont ?

Encore une fois, tant qu’ils ne font pas la distinction, en termes de mesures publiques, ils se tromperont d’objectif. Si un médecin ne fait pas le bon diagnostic, les médicaments qu’il va prescrire ne guériront pas. La radicalisation non violente est un processus long, qui comprend plusieurs étapes. Et si nous ne la comprenons pas, comment allons-nous la prendre en charge ? Nous allons reproduire des mesures provisoires, ouvrir un centre dit de “déradicalisation” et le fermer un an plus tard…

Quelles sont les origines de cette radicalisation non violente ?

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La radicalisation non violente naît de la rencontre entre une demande et une offre. D’un côté, nous avons une demande identitaire, une demande de repères, de racines, de sens. En face, nous avons une offre qui fournit un kit identitaire avec le radicalisme religieux. Mais ce radicalisme est devenu politique. Cette offre politico-religieuse, c’est ce que j’appelle “l’intransigeantisme musulman”, qui peut constituer le terreau du passage à l’acte violent.

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Pourquoi l’année 1989 est, selon vous, une année importante ?

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En mars 1989, en France, des listes avec des “beurs” et des “beurettes” se présentent aux élections municipales. C’est la possibilité, pour cette génération, d’accéder au monde politique. Or, c’est un échec. Et pour les jeunes issus de l’immigration, il y a un conflit de loyauté impossible à résoudre. D’un côté, “je suis fidèle à mes racines maghrébines qui me rejettent” et de l’autre “je suis fidèle à la République, à la société d’accueil, à son système politique, mais qui peine à m’intégrer”.

Pourquoi mentionnez-vous aussi l’année 2005 ?

Cette année-là, en France, une colère s’exprime avec les émeutes qui ont embrasé des quartiers sensibles à la suite de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).

A l’international, deux événements capitaux surviennent. En janvier, Abou Moussab al-Souri, un jihadiste d’Al-Qaïda publie sur Internet un “appel à la résistance islamique mondiale”. C’est une déclaration de guerre à l’Occident. En septembre, l’affaire des caricatures de Mahomet publiées par le quotidien danois Jyllands-Posten remet de l’huile sur le feu. Que se passe-t-il alors dans la tête de certaines Françaises et certains Français de la deuxième génération, mais aussi de la troisième génération ? Ils se disent : “Je viens de trouver un nouveau repère, la religion, je viens de trouver du sens alors que ça a été compliqué de m’intégrer socialement, économiquement, politiquement, et vous êtes en train de ridiculiser ce qui donne du sens à ma vie. Oui, je suis en colère.”

C’est en 2005 que l’on franchit un cap fondamental : certains estiment qu’il faut passer à l’action politique, au nom de leur religion, contre les sociétés démocratiques.

En vous intéressant à des personnes radicalisées et non violentes, vous êtes tombés sur des profils qui sortent de la représentation générale des auteurs d’attentat, à savoir des délinquants qui ont sombré dans l’extrémisme religieux. Vous parlez de personnes diplômées, instruites. Cela vous a-t-il surpris ?

Non. Jusqu’à notre livre, nous nous fondons sur des corrélations (délinquance, milieu familial, fréquentations sur Internet) pour expliquer le passage à l’acte violent. Nous écrivons dans cet ouvrage qu’il peut y avoir une corrélation, mais que si nous adoptons l’approche sociologique et anthropologique de la construction identitaire, nous découvrons que le véritable enjeu, avant le passage à l’acte violent, est d’abord la recherche de sens, de cadres et de repères, et que cela ne concerne pas que des petits délinquants.
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France Info

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