Excédé, César avait perdu trop de temps en Gaule, au lieu de se consacrer à sa lutte pour le pouvoir à Rome où gronde la guerre civile… qui va conduire de la république à l’empire. Désormais privée de toute indépendance, la Gaule se voit appliquer la règle d’or de la politique romaine qui, jusqu’à la scission au IIIe siècle entre Orient et Occident, régit l’empire, de la Syrie à la Bretagne et de l’Afrique au Danube : «Ménager les soumis, combattre les audacieux.» Mais le conquérant sait se montrer indulgent envers les Arvernes ou même les Eduens, ce peuple allié, qui l’a pourtant trahi à Alésia. Il est aussi très habile… Quand César rend les prisonniers, il exige en échange un grand nombre d’otages : des centaines de jeunes nobles sont ainsi envoyés dans les écoles militaires et administratives où ils sont sommés de se préparer à devenir les auxiliaires zélés de la romanisation.
Il fallait empêcher, écrit Jean-Louis Brunaux dans son essai Alésia (éd. Gallimard, 2013), le «morcellement d’un pays où les particularismes étaient forts et où le fonctionnement politique s’exerçait pour la plus grande part à l’échelon local». Le seul élément de cohésion de cet ensemble disparate reste l’armée répartie sur tout le territoire. Or César sait qu’il va devoir employer ses légions à combattre dans d’autres provinces de l’imperium. Les Gaulois devront donc collaborer à leur propre sujétion, respecter l’ordre et s’administrer eux-mêmes. L’heure n’est plus à l’acceptation ou non de la domination. Les derniers foyers de résistance ont fini par s’éteindre, les chefs tués au combat ou assassinés par les leurs, parfois exilés. Les nobles, parmi lesquels César recrute ses cadres, se livrent à une concurrence acharnée pour bénéficier de la redistribution des terres et des biens. […]
D’après Pline l’Ancien, à l’exception des Eburons et des Aduatuques, exterminés par l’imperator au point d’avoir été rayés de la carte, tous les autres peuples vont coexister et conserver leur intégrité territoriale. En fait, la vie quotidienne continue même selon les coutumes ancestrales. César veut calmer le jeu et se garde bien de bousculer les habitudes. Surtout, il a besoin d’une Gaule unie derrière lui dans un même effort de guerre contre une partie de ses compatriotes. Il lui faut assurer la logistique de ses armées engagées cette fois non à l’extérieur mais contre ses ennemis de l’intérieur, à commencer par Pompée, qui lui dispute le pouvoir suprême. Fin stratège, il entend puiser dans ce riche vivier qu’est la Gaule. […]
La romanisation est irréversible. Quelques décennies plus tard, elle vaudra à la patrie de Vercingétorix ce satisfecit de l’empereur Claude (41-54) : «Depuis que la guerre des Gaules a pris fin, la paix est constante et fidèle.» Elle le restera deux siècles, grâce à une administration efficace, à l’amélioration des conditions matérielles et sociales du peuple. En somme, grâce à tout ce qu’avait apporté César, par le glaive ou par la stratégie.
➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire sur Rome (n°44, avril – mai 2019)