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Et c’est ainsi, dans un petit tourbillon de démesure, que nous avons voulu savoir ce qu’il se passe lorsque l’on appelle le numéro inscrit sur le flyer du marabout.

« Si vous voulez vous faire aimer et si votre partenaire est parti(e) avec quelqu’un, c’est son domaine. » J’attrape le flyer plein de promesses de Maître Batou, un des nombreux marabouts de Barbès, dans le 18e arrondissement de Paris, et décide de le suivre. Je lui demande si c’est bien lui, Maître Batou. « Bien sûr que c’est moi, tu veux y aller ? » Je ne sais pas trop… « Mais oui, mais oui, viens on va dans mon cabinet, c’est juste à côté. Range-le. » Le flyer. « Et suis-moi. » D’où vient-il ? A-t-il beaucoup de clients ? Est-ce une réussite à tous les coups ? Gagne-t-il bien sa vie ? Il s’arrête, sans me répondre. « Qu’est-ce que tu as dans ton sac ? » Je l’ouvre, il regarde. « Tu es Française ? Ta mère vit avec toi ? »

On prend à droite puis à gauche, et encore à droite. « Tu as l’argent de la consultation ? » En bas de l’immeuble situé dans une petite rue à Château-Rouge, avant de composer le digicode, il m’interroge : « Tu veux quoi ? L’amour ? » J’improvise, sans être inédite : je me suis fait plaquer sans explication, mais je suis toujours amoureuse. « Tu as couché avec lui ? Il est avec une autre femme ? Ok, il va revenir, viens. »

« Tu as l’argent de la consultation ? Suis-moi. » On monte les escaliers jusqu’au 3e étage. La porte s’ouvre, une femme passe un (mauvais ?) œil dans l’entrebâillement. Je ne vois rien du « cabinet », je recule d’une marche. La porte claque. Maître Batou n’a pas dit un mot. Nous sommes plantés là. Il marmonne quelque chose à son interlocutrice, bouche plaquée contre la porte close, qui s’ouvre à nouveau. Il récupère le tabouret tendu par un bras à travers la fente, le pose sur le palier. Il fera office de table entre Maître Batou qui s’assied par terre et moi, sommée de m’installer en face de lui.

Maître Batou a la peau très noire et les yeux très bleus, presque transparents. Pourtant, rien n’y transparaît tant ils confisquent toute émotion, tandis que ses mots à demi compréhensibles promettent, eux, des sentiments forts. Peu importe la contradiction, tant qu’il y a de l’espoir. […]

L’arnaque apparente n’exclut pas le sérieux qu’il insuffle dans sa mise en scène. Maître Batou tente d’inscrire mes problèmes et ses mots dans le quotidien, de les rendre proches, concrets, personnels. Car s’il a un don, il ne faut pas se méprendre, la magie de celui-ci n’annule pas l’ampleur de la tâche qu’il va s’atteler à accomplir pour mon bonheur : « le travail ».

D’une main, il me frotte le visage avec ses perles, de l’autre, il sort de sa poche portefeuille un petit carnet rouge. « C’est les secrets du Coran, c’est là-dedans que je lis. C’est là-dedans que tout se passe, mais je peux pas te dire. » Je me laisse faire, sans me laisser prendre. […]

Le Monde

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