Seulement des dizaines de personnes lors d’une marche contre la violence samedi dernier, mais des milliers lors des divertissements. «L’essentiel est toujours menacé par l’insignifiance ou la frivolité», analyse le sociologue André Lucrèce qui avait prédit la situation d’aujourd’hui.
Sur les réseaux sociaux, certains ont tenté de comparer la faible mobilisation contre la violence samedi dernier en Martinique, aux manifestations à succès (Baccha Festival 20 000 personnes, Foyal Color Run plus de 4 000 personnes, Mercury Beach plus de 6 000 personnes et la marche contre la violence, 50 personnes…). Cette comparaison a-t-elle du sens ?
André Lucrèce : Non seulement cette comparaison évoque l’immense attractivité des rassemblements dédiés au divertissement, mais elle montre comment l’essentiel est toujours menacé par l’insignifiance ou la frivolité. L’essentiel étant ici la menace que constitue le développement de la violence dans notre pays. Aucune société civilisée ne peut s’accommoder de la violence, ni d’aucuns moyens pulsionnels de se faire valoir. Comprendre et intégrer cela passe par la nécessaire socialisation dont ont la charge des institutions comme la famille, l’école et le Politique.
Dans cet insuccès de la marche contre la violence, faut-il y voir une absence d’implication des martiniquais?
A.L. : Beaucoup de gens n’ont pas compris qu’aucune société ne peut se construire sans recours à l’éthique et à la morale. Un exemple : certaines, je dis bien certaines, manifestations relevant du divertissement drainent avec elles des fléaux comme la drogue, la violence et la prostitution. Quand des gens soulignent cela, on leur oppose des arguments économiques qui pour eux constituent la marque d’une société moderne. C’est à ce titre que depuis les avertissements que nous avions lancés dès la fin des années 1980, notre société connaît une dégénérescence en matière de civilisation des moeurs. Il suffit de prendre l’exemple de l’école, de certaines cités considérées aujourd’hui comme invivables ou encore l’agressivité quotidienne où se manifeste une violence instinctuelle.
Les idées fusent sur les réseaux sociaux, (derrière les claviers), mais l’implication publique est toujours faible, pourquoi?
A.L. : Pour que les gens s’impliquent massivement, il faudrait qu’il y ait une confiance dans la possibilité d’agir dans l’espace publique en tant que citoyen. Or notre histoire sociale nous renvoie constamment depuis les années 1950 à une forme d’irresponsabilité. L’Etat, l’argent de l’Etat, les subventions de l’Etat, la prise en charge de l’Etat en matière de catastrophes naturelles, jusqu’à la météo de l’Etat, sont là pour nous aider et nous dire ce qu’il faut faire. Cela va à l’encontre de la responsabilité et cela, surtout, est aux antipodes de la responsabilité qu’assumaient nos parents et nos ancêtres. […]