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M’Bemba* […] n’a que 29 ans mais ce qu’il a traversé pour venir dans cette ville moyenne du centre de la France pèse déjà lourd. C’est un migrant. […] Ce naufragé est arrivé en Europe à bord de l’Aquarius à l’automne 2016, avec pour seul bagage les traumatismes subis en Libye et en mer Méditerranée. […] Il a fui son village après le décès de ses parents, à cause de son oncle violent. Seul et sans perspective, il devient “l’esclave de la famille” pendant quinze ans. Aux champs la semaine, au village le week-end. Sans salaire.

[…] Karim* a 30 ans en 2016. “C’est devenu mon ami intime. On priait ensemble”, se souvient M’Bemba. C’est Karim qui évoque le premier l’Europe, un mois après l’arrivée de M’Bemba à Conakry. Le trentenaire rêve de devenir footballeur sur le continent et se dit prêt à voler de l’argent à ses parents – opposés à tout départ – pour financer le voyage. M’Bemba tente de le dissuader, sans succès. […]

Les deux compères se rendent chez un passeur de Conakry, avec dans la poche 1.500 euros volés à la mère de Karim. Dans son échoppe, ce dernier leur sort le grand jeu. “Il nous disait que la Libye était un pays sûr. Il nous montrait des photos de gens en disant : ‘J’ai fait rentrer celui-ci en Italie, celui-là en France’“, rapporte M’Bemba. L’homme leur demande 1.000 euros pour les emmener jusque sur les rives libyennes de la Méditerranée. […]

Pour les deux Guinéens, le cauchemar commence. Il se répétera pendant toute la durée de leur séjour en Libye, selon un schéma bien rodé. Dans chaque localité, le groupe armé aux commandes prélève sa dîme. Pour avancer, il faut payer. Sinon, c’est la mort. Le premier jour, ils arrivaient en demandant de payer, par exemple 500 euros par personne. Si personne ne paye, ils abattent quelqu’un au hasard et disent : ‘On revient demain et si vous ne payez pas, on vous tue tous‘. […] “Ce n’est pas ça l’islam“, s’emporte le jeune homme, très croyant. Sauvés par les 8.000 euros déboursés par les parents de Karim, les deux Guinéens arrivent à l’automne 2016 sur les rives de la Méditerranée.

Le deuxième jour, une coque orange apparaît à l’horizon. Sous la passerelle, M’Bemba lit l’inscription “SOS Méditerranée”. “Je ne connaissais pas. On s’est dit que c’était peut-être un bateau de pêche”, se remémore le jeune Guinéen. Il s’agit en réalité de l’Aquarius, un navire affrété depuis février par une ONG pour sauver les migrants à la dérive en Méditerranée. […]

A bord du navire, des vêtements, de la nourriture et des médicaments sont donnés aux réfugiés. Une femme de l’équipage tente de consoler M’Bemba. […] Trois jours plus tard, l’Aquarius accoste dans un port italien. Les dates et les lieux donnés par M’Bemba concordent avec les opérations du navire cet automne-là. Débarqué en Italie, M’Bemba a gagné la France où il vit désormais. En attendant de pouvoir demander l’asile, il s’occupe en faisant du bénévolat dans une association d’aide aux personnes démunies.

En posant les pieds sur le sol italien, M’Bemba est soulagé d’avoir échappé au bourbier libyen. Mais son voyage n’est pas terminé. Francophone, il a toujours eu pour objectif de rejoindre l’Hexagone. “Pour nous, en Guinée, c’est le meilleur pays du monde. Tu es en sécurité, il n’y a pas d’injustices, pas de corruption. Il y a beaucoup de différences avec notre pays, c’est un peu comme le ciel et la terre“, argumente-t-il. Les autorités italiennes le transfèrent dans un camp près de Milan. Pendant huit mois, M’Bemba patiente. Il économise patiemment le pécule versé par les autorités à chaque demandeur d’asile – 75 euros par mois – pour financer la suite de son voyage. Il découvre la neige.

Le voyage se poursuit à Vintimille. Pour passer cette nouvelle frontière, il faut à nouveau payer des passeurs. Leur technique est simple : à la nuit tombée, ils cachent leurs clients dans les toilettes et autres compartiments discrets des trains vides. Le migrant patiente ensuite toute la nuit dans sa cachette, en attendant que le train s’ébranle pour la France. M’Bemba est repris trois fois par la police française qui le renvoie en Italie. A l’été 2017, à sa quatrième tentative, il parvient à passer et suit deux Maliens rencontrés à Vintimille, qui ont une tante dans une ville du centre de la France. Mais cette dernière ne peut pas l’héberger. Après une nuit passée à l’abri grâce au 115, il atterrit dans un foyer pour migrants. C’est là qu’on l’envoie, “pour manger”, dans l’association où nous l’avons rencontré.

Ce foyer le dirige également vers la préfecture. Il découvre qu’il est un “Dubliné” : puisque ses empreintes digitales ont été enregistrées en Italie, il est obligé d’y déposer sa demande d’asile. Arrêté début 2018, il est renvoyé en Italie. Deux jours plus tard, il est de retour en France, toujours dans cette même ville, après un nouveau périple. “J’ai recommencé le combat“, commente-t-il, sobrement. En attendant décembre 2019, date à laquelle il pourra demander l’asile en France, il reste à la merci d’une nouvelle expulsion.

Pour le jeune homme, il n’est pas question de quitter un environnement où il a déjà commencé à se tisser un réseau. Au sein de son association et au Secours catholique, il a fait la connaissance de bénévoles qui acceptent de l’héberger. […]

France TV Info

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