Petit pays de deux millions d’habitants, la Slovénie ne compte qu’un seul centre de demandeurs d’asile. Appelé Centre Vič, ou “Camp” par les migrants, il se situe à Ljubljana et peut héberger jusqu’à 200 personnes. Rarement complet, cet “Asylum home” sert surtout de base arrière aux migrants sur leur route vers le nord de l’Europe. L’immense majorité des résidents n’y restent que quelques jours pour se reposer après leur traversée “difficile” de la Croatie, avant de disparaître dans la nature.
Mohamed* rechigne à apprendre le slovène. Dans quelques jours, il ne sera plus là, alors à quoi bon se familiariser avec une langue “si peu parlée”… À l’instar de nombreux demandeurs d’asile en Slovénie, Mohamed, de nationalité algérienne, ne compte pas rester dans le pays. Pour l’heure, il dort au “Camp”. “Mais demain ou après-demain, j’irai en Italie”, explique-t-il […].
Comme Mohamed, ils sont une écrasante majorité de migrants à considérer la Slovénie comme une simple étape sur leur route migratoire. “Ils n’y restent que quelques jours, c’est vrai, en général moins de deux semaines”, reconnaît Martin Nedeko, l’un des responsables. “Il y a un énorme turnover ici. Il y a tout le temps de nouvelles têtes.”
Presque tous déposent quand même un dossier de demande d’asile, étape administrative obligatoire si l’on veut avoir le droit à un hébergement. “Ici, quand on demande l’asile, on a le droit à un toit, on peut dormir au chaud, et pas dans la forêt. Ça nous change de la Bosnie”, explique encore Mohamed.
“Demander l’asile en Slovénie, ça ne coûte rien, et c’est le seul moyen d’avoir un lit, un peu de paix et de calme.”
C’est aussi le seul moyen d’éviter l’expulsion vers la Croatie. “Les migrants qui ne demandent pas une protection internationale n’ont quasiment aucune chance de rester dans le pays. Ils sont généralement arrêtés à la frontière et expulsés manu militari”, explique un membre de l’association d’aide aux migrants Filantropijia […]. D’autres peuvent aussi être envoyés dans le centre de détention du pays, à Postojna, à quelques kilomètres de la capitale slovène, avant d’être renvoyés.
90 % des résidents “évanouis dans la nature”
Depuis le début de l’année, sur un total de 14.000 traversées illégales recensées par les autorités slovènes, plus de 9.000 migrants ont été renvoyés vers le dernier pays traversé, généralement la Croatie, 4.000 autres ont déposé un dossier d’asile.
Ces quatre mille demandeurs d’asile devraient être à Vič. Mais ils sont dans leur immense majorité déjà partis, “évanouis dans la nature”. “Depuis le mois de janvier, près de 90 % des personnes que nous avons accueillies au centre Vič ont disparu”, indique Tina Kotar, l’une des responsables de cette structure qui peut accueillir jusqu’à 200 personnes. “Généralement, ils vont vers l’Allemagne, l’Autriche, mais aussi la France” […].
Troubles psychologiques
Ici, les “voyageurs en transit” sont principalement pakistanais, algériens, afghans, iraniens, irakiens, bangladais… Presqu’aucun ne cache son intention de partir. Ils expliquent reprendre des forces à Vič après la difficile traversée de la Bosnie et de la Croatie. “On n’a pas besoin de chuchoter. Tout le monde sait que les gens ne restent pas à Vič”, explique un Pakistanais en passant dans le couloir en riant […].
En raison de la faible population et de la rotation fréquente des demandeurs d’asile, les tensions – entre communautés ou avec les gardiens – sont plutôt marginales. “Les gens ne font que passer, ils se reposent, et repartent, ils n’ont pas le temps de se disputer”, sourit Tina Kotar. “Le problème ici, ce ne sont pas les violences, mais les personnes atteintes de troubles psychologiques. Nous avons de nombreuses personnes traumatisées, elles demandent des calmants, elles ne comprennent pas qu’on ne leur en donne pas sur commande.” Nombreux sont les demandeurs d’asile, en effet, qui se disent choqués par leur traversée des Balkans. Les histoires de coups et blessures de la part de policiers croates – et parfois slovènes -, de portables cassés, d’argent volé, sont légion à Vič.
Pour les aider, Vič propose des consultations avec un psychologue mais aussi des activités, des cours de langue. À quelques centaines de mètres de là, l’association Filantropijia offre aussi aux résidents un bol d’air en les emmenant dans le centre-ville, à la piscine, ou en organisant des ateliers de cuisine. “On essaie de les divertir”, explique un bénévole de l’association. “[…] On espère aussi convaincre certaines personnes de rester dans le pays.”
“Au début, je ne voulais pas rester et puis…”
Reda et Khaled font, eux, partie des rares convaincus. Le premier, un Marocain de 23 ans, réside depuis 7 mois à Vič; le second, un Érythréen, depuis 5 mois. Tous deux disent vouloir rester à Ljubljana. “J’ai tenté dix fois de passer en Slovénie avant de réussir. La police croate m’a repoussé sept fois, la police slovène trois fois. Je suis fatigué”, raconte Khaled…
Reda lui aussi dit “bien aimer” le pays. Après avoir traversé l’Europe à pied, avoir été “frappé” par la police croate, il souhaite poser ses bagages. “Les Slovènes m’ont accueilli, ils me traitent bien. Pourquoi je partirais ? Le seul problème, c’est l’apprentissage du slovène… C’est pas facile”, continue Reda qui confesse ne pas aller souvent aux cours de langue proposés par le centre…
*Le prénom a été changé.