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Dans Le Nouvel Evangile, son film racontant l’histoire de Jésus Christ, le réalisateur né en Suisse et établi en Belgique Milo Rau tente de répondre à ces questions: que prêcherait Jésus au XXIè siècle? Qui défendrait-il? Pour quoi se battrait-il?

Milo Rau a trouvé une réponse dans l’Italie contemporaine, où son projet – un mélange entre film, documentaire et militantisme politique – a pris corps cette année. Pour jouer le rôle du Christ, il a choisi un ancien ouvrier agricole saisonnier, un de ceux qui, par milliers, participent à diverses récoltes, surtout des tomates, des olives et des oranges, dans les champs du sud de l’Italie […].

Alors, un après-midi de la fin septembre, une drôle de parade composée essentiellement de migrants africains, de jeunes Italiens, de membres d’ONG, de journalistes […] arpenta les ruelles de pierre blanche de la ville méridionale de Matera […] pendant que la caméra tournait.

Jésus et ses apôtres menaient la parade, dans ce qui doit devenir la scène de l’entrée du Christ dans Jérusalem, et ils s’arrêtèrent sur les marches de la cathédrale de Matera sous un soleil de plomb pour chanter «Bella Ciao», une vieille chanson italienne devenue un hymne antifasciste.

Puis on tint des discours. Sur tout ce que souffrent les migrants pour permettre aux Italiens de manger. Sur les problèmes qu’ils rencontrent en tant qu’étrangers en Italie. Sur l’hostilité, le racisme, et les pièges administratifs qui empêchent nombre d’entre eux d’obtenir un statut d’immigré légal […].

«Nous serons confrontés à la haine. Je vous demande de résister,» lance le Camerounais Yvan Sagnet à la foule qui l’acclame. «Nous devons nous battre, nous devons rester unis.»

Yvan Sagnet, qui a été fait chevalier en 2016 par le Président italien Sergio Mattarella pour son travail avec les migrants, est Jésus. D’autres défenseurs des droits des migrants, eux aussi des noirs africains vivant en Italie, ont été choisis pour jouer le rôle des apôtres, de même qu’un [militant] italien.

Enfin, un camion déboule sur la piazza et déverse sur son pavage des milliers de tomates mûries. Jésus et ses apôtres se mettent à les piétiner furieusement, en criant: «Détruisons ce qui nous détruit.»

 

Le Nouvel Evangile est une œuvre originale créée pour Matera 2019, dans le cadre de la série d’événements organisés pour l’initiative «Matera capitale culturelle de l’Europe», au cours de laquelle la ville accueille une programmation mettant en valeur la diversité culturelle européenne.

[…] C’est ici que l’intellectuel, poète et réalisateur Pier Paolo Pasolini a tourné en 1964 son film L’Evangile selon Saint Matthieu, et que Mel Gibson a tourné 40 ans plus tard sa Passion du Christ […].

Milo Rau explique que sa première idée avait été de réunir des acteurs qui avaient travaillé ici avec Pasolini et avec Gibson, pour «faire un nouveau film sur Jésus». Mais une fois arrivé à Matera, ayant découvert la souffrance des milliers de migrants qui s’échinent à récolter les tomates dans les champs de Basilicata et des Pouilles voisines, le projet fit un virage à 180 degrés […].

«Pour nous, Jésus était un prophète et il militait pour la justice,» explique Yvan Sagnet. «C’était un syndicaliste, il s’est battu. Jésus était tout ça.»

 

Les journaux de droite qui ont relaté l’aventure ont écrit que donner le rôle à un Christ noir «était un outrage au christianisme,» dit-il. Pour Milo Rau, un Jésus noir fait immanquablement penser à l’esclavage et à la violence raciste. «C’est une métaphore du racisme et de toute l’histoire de ce genre de violence à l’encontre des noirs.»

Pour Lorenzo Marsili, fondateur du Transeuropa Festival, qui a accueilli le cinéaste à Palerme, le grand mérite de Milo Rau est de mettre «un coup de projecteur sur cette tache qu’a chaque Italien sur la conscience, et qui est l’existence de ces ghettos de migrants exploités par l’industrie agricole du sud de l’Italie». Rendre le pouvoir aux opprimés, «c’est ce que nous pensons être du bon art tel que devraient en produire les démocraties occidentales dans les périodes de crise comme celle qu’elles traversent aujourd’hui.»

Le weekend dernier, à Palerme, un bateau de pêcheur avec à son bord Yvan Sagnet et une demie-douzaine d’apôtres a flotté vers une plage sablonneuse dans le soleil couchant. Sur le rivage, le reste des apôtres attendaient en compagnie du responsable de l’association humanitaire “Mediterranea Saving Humans”, dont les bateaux secourent des migrants naufragés.

A l’accostage, ils sont tous tombés dans les bras les uns des autres.

«Voir Jésus être accueilli par un membre d’une ONG nous a semblé être quelque chose de très puissant,» a expliqué [le responsable de l’association].

[…] Puis les apôtres et les spectateurs ont marché vers un centre culturel situé à proximité…

 

The New York Times

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