C’est une partie de la jeunesse de France qui ne fait guère parler d’elle. Ce n’est pas celle de la précarité étudiante dramatiquement mise au-devant de l’actualité par la tentative d’immolation d’un jeune homme à Lyon. Ni celle des quartiers sensibles à l’affiche du film de Ladj Ly, « les Misérables ». Cette jeunesse, c’est celle de la France périphérique, des petites et moyennes villes (moins de 20 000 habitants) qu’a si bien racontée l’écrivain Nicolas Mathieu dans son livre « Leurs enfants après eux ».
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Vous consacrez votre étude aux jeunes de « la France périphérique ». Pourquoi vous êtes-vous intéressés à cette jeunesse dont on parle peu ?
Salomé Berlioux : Ces collégiens, lycéens, étudiants qui grandissent dans la France des territoires, ils sont des millions. Ils sont restés dans l’angle mort des politiques mais ils cumulent les obstacles. Notre enquête met en valeur trois points : d’abord elle confirme le poids du déterminisme social ; elle montre qu’à ces « effets de classe » s’ajoutent des « effets de lieux » avec un vrai clivage entre jeunes des zones rurales et petites villes et ceux des grandes agglomérations, en particulier celle de Paris.
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Notre enquête casse l’idée à la mode selon laquelle chacun serait entrepreneur de sa propre vie. C’est un discours agréable pour ceux qui sont du bon côté de la barrière. Mais la réalité c’est que les inégalités sont énormes entre les jeunes vivant dans les grandes agglomérations et ceux des villes de moins de 20 000 habitants. On ne peut pas parler de liberté quand il n’y a pas un socle égalitaire au départ. Ne pas résoudre ces inégalités génère de la frustration, du ressentiment. Ça peut se traduire d’un point de vue électoral. On a beaucoup dit que les jeunes avaient voté écolo aux dernières européennes. Mais c’était un vote social et territorial, des plus diplômés, dans les métropoles. Sinon, les jeunes de la France périphérique, quand ils votent, se tournent plutôt vers le RN…
Pourquoi dites-vous qu’ils sont « gommés du débat public » ?
Salomé Berlioux : Quand on venait présenter notre association Chemins d’avenirs il y a trois ans dans les ministères, on nous disait : « Vous n’allez pas inventer une nouvelle catégorie de jeunes ! Il y a déjà les jeunes de banlieue, en décrochage, en situation de handicap, à haut potentiel… »
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