“Il n’y a plus de migrants qui passent. C’est l’Europe qui rit et nous, nous pleurons”, affirme Issa Abdou, vendeur de bidons à Agadez, la grande ville du nord du Niger par où transitaient des milliers d’Africains voulant rejoindre les côtes méditerranéennes puis l’Europe. “Le marché est mort”, conclut-il, critiquant les mesures gouvernementales qui ont tari le flux migratoire.
“Ici à Agadez, c’est la catastrophe : du vendeur de bidons aux petits restaurateurs, des coxers (intermédiaires) aux passeurs… toute la chaîne de la migration s’est cassée et les gens n’ont rien”, constate le journaliste nigérien Ibrahim Manzo Diallo.
Dans le but de décourager les passeurs, Niamey a voté en 2015 une loi érigeant en crime le trafic de migrants, passible de peines pouvant aller jusqu’à 30 ans de prison. Parallèlement, les forces de sécurité multiplient les patrouilles dans le désert pour dissuader les migrants.
“Tout le monde a peur. Si on te prend avec un migrant, tu es foutu, on te défère directement à Niamey”, relève Idrissa Salifou, un ex-passeur.
En début d’année, le président du Niger Mahamadou Issoufou a salué ce “plan” anti-migrants, soutenu par l’Union européenne (UE), qui a fait chuter le flux de migrants passant par le Niger de 100 à 150.000 par an avant 2016 à entre 5 et 10.000 migrants par an aujourd’hui. En visite en février à Niamey, le Premier ministre italien Giuseppe Conte s’était aussi félicité de la réduction de “80%” en 2018 des débarquements de clandestins sur les côtes italiennes.
“Les ghettos (cours intérieures où sont hébergés les migrants) ont diminué”, explique Bachir Amma, le président de l’Association des ex-passeurs de migrants.
Sans la manne économique que représentaient les migrants, c’est la grogne à Agadez. Un migrant peut dépenser 200 à 250.000 FCFA (304 à 381 euros) par semaine pour se loger, se nourrir et pour son transport jusqu’en Libye, assure Bachir Amma.
“Nous sommes carrément cassés: avant, je pouvais faire partir personnellement tous les lundis jusqu’à 13 petits véhicules avec chacun à son bord de 10 à 31 personnes et empocher plus de 3 millions de FCFA” (4.573 euros), relate Idrissa Salifou qui tente de se reconvertir dans la restauration.
Au total, “tous les lundis, un impressionnant convoi”, parfois de 300 à 400 petits véhicules et 70 à 115 gros camions pouvant transporter “jusqu’à 12.000 personnes”, partait d’Agadez vers la Libye, ajoute-t-il.
Issa Abdou, qui passe désormais ses journées à dépoussiérer ses bidons (les migrants achètent des bidons pour les remplir d’eau), ne décolère pas: “Au plus fort du trafic, j’écoulais par jour 75 à 100 bidons à 4.000 FCFA (6 euros) l’unité et je gagnais 300 à 400.000 FCFA” (457 à 609 euros). “Si le marasme continue, nous retournerons au village pour cultiver nos champs”, se plaint-il.
Tête recouverte d’un turban bleu et visage crispé, un autre commerçant, Mohamed Moussa, fulmine: “en deux mois, j’ai vendu moins d’une dizaine de couvertures et de nattes”. Comme les bidons, les nattes et les couvertures sont du matériel essentiel de survie durant la traversée du désert.
A Agadez, l’effervescence nocturne des gares routières et les arrivées des bus bondés de migrants en provenance de Niamey ne sont plus qu’un souvenir. Devant les banques, les longues files de migrants dans l’attente d’un transfert d’argent de leur famille ont aussi disparu. Selon un élu d’Agadez, cette baisse du flux “fait perdre” à la municipalité “des centaines de millions de FCFA de recettes directes” […]