Dans la rue, ce sont les hommes qui se font le plus souvent agresser. Pourtant, ce sont les femmes qui sentent le plus exposées aux agressions dans les espaces publics. Elles ont peur. Mais de quoi ?
Il peut sembler absurde que les femmes aient plus peur que les hommes de sortir en ville, puisqu’elles se font bien moins souvent agresser (physiquement) que les hommes. Leur peur est-elle irrationnelle ? Stupide ? Est-il dans la nature des femmes d’être craintives ? Rien de tout cela, bien sûr. Toute paradoxale qu’elle soit (en apparence), cette peur a une raison d’être. Elle est collectivement construite comme une caractéristique féminine. En d’autre termes : une femme, une vraie, doit avoir peur, afin que sa façon d’investir l’espace public se distingue de celle de l’homme. Ayant peur, la femme doit élaborer des stratégies d’évitement. Mettre un casque sur la tête. Faire mine de téléphoner sur son portable. Baisser les yeux, éviter les tenues sexy. Parfois même, la femme doit s’auto-exclure de certains espaces. Pas cette rue. Pas ce quartier. Pas à cette heure. Gare aux contrevenantes, qui se font rappeler à l’ordre : «Donne ton cul», «Tu baises?», «T’es bonne». On les intimide. Il faut qu’elles aient peur. Les parents sont les premiers à entretenir chez leurs filles le sentiment que leur présence est «illégitime» au-delà de certains horaires et dans certains endroits. Franchir ces limites spatiales, c’est s’exposer au risque de violences.
La construction sociale de la peur s’appuie sur ce que les sociologues appellent «la division socio-sexuée de l’espace». Il convient que les femmes se sentent tout juste autorisées à fréquenter certains lieux, afin que l’ordre règne dans un monde historiquement constitué, dans l’Occident bourgeois (et dans bien d’autres cultures, et de façon parfois bien plus impitoyable), autour de la distinction homme-femme. L’homme à la ville, la femme à la maison.
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