Des décennies après leur mort, l’ex-président et son épouse Eva Duarte restent des figures adulées par de nombreux Argentins. Un culte ravivé par les difficultés que traverse le pays et l’élection du péroniste Alberto Fernández à la tête de l’Etat.
Tous les soirs, c’est le même refrain. Le rock passé en fond sonore s’efface progressivement, laissant place à un vieil enregistrement de tambours et de trompettes. Devant les regards interloqués de quelques touristes, des clients du restaurant s’époumonent en tapant dans leurs mains : « Perón Perón, que tu es grand ! » « Ils ont du mal à croire que nous sommes si fous ! », s’amuse Daniel Narezo Roig, le propriétaire du Perón Perón.
Les murs de son établissement sont recouverts de portraits du général Juan Domingo Perón, élu trois fois président de l’Argentine (1946-1952 ; 1952-1955 ; 1973-1974), et de sa deuxième épouse, Eva Duarte, plus communément appelée «Evita», emportée par un cancer foudroyant à 33 ans, en 1952. Dans leur sillage est né un mouvement protéiforme, un large courant à la fois populaire, populiste et nationaliste, le péronisme (ou justicialisme), qui domine la vie politique argentine depuis plus de sept décennies et vient tout juste de se réinstaller au pouvoir.
Mardi 10 décembre 2019, les péronistes laissent exploser leur joie : « Nous sommes de retour ! », s’exclame Alberto Fernández, fraîchement investi président. Quelques jours plus tard, une des premières décisions du nouveau gouvernement sera de rallumer la sculpture murale d’Evita qui figure sur la façade du ministère du développement social et qui avait été éteinte sous le gouvernement de Mauricio Macri, président de 2015 à 2019.
Ce soir-là, au Perón Perón, l’ambiance est à son comble. « Ce n’est pas un bar thématique, assume Daniel Narezo Roig. Le Hard Rock Café est thématique. Le Perón Perón est un bar politique, pour faire de la politique et parler de politique. » Le quinquagénaire précise toutefois que toutes les tendances sont ici bienvenues. « Cet endroit est un laboratoire. J’observe les clients, surtout ceux qui ne sont pas péronistes. Quand on chante la marche, on peut voir, au fond, qu’ils sont jaloux, qu’ils aimeraient bien faire partie d’un mouvement si joyeux.»
Une certaine allégresse, un derecho al goce (« le droit au plaisir »)… Ce sont quelques-unes des valeurs que revendique le péronisme, mouvement inclassable selon des standards européens, réunissant aussi bien des courants de gauche dirigistes (mais non communistes) que des courants de droite conservateurs. Les Argentins eux-mêmes, profondément divisés entre péronistes et antipéronistes, peinent à le définir. « Les éléments originaux du péronisme, que l’on retrouve encore aujourd’hui, incluent un Etat fort, puissant, un sens de la justice sociale (…) et un grand pragmatisme », analyse Carolina Barry, chercheuse en sciences politiques au Conseil national de la recherche scientifique et technique.