La télévision qui a longtemps été la bonne gardienne du foyer à l’ancienne avec son œil toujours ouvert sur la docilité du troupeau, ce «petit écran» qu’on avait donné définitivement hors-jeu, ringard, voué à la casse, semble reprendre de la vigueur comme l’ultime garde-fou œcuménique, rassembleur, régressif et donc rassurant face à la férocité du désœuvrement confiné et aux menaces mortelles du virus qui souffle son vent mauvais dans les rues zombifiées. France 2, chaîne publique, à la fois privée de ses programmes habituels et soudain auto-investie d’un rôle de soutien au moral des troupes, a déployé son plan stratégique en sortant l’arme secrète du «film de patrimoine» tous les après-midi à l’heure de la sieste. L’As des as avec Belmondo, Inspecteur la Bavure avec Coluche et Depardieu, la Soupe aux choux, l’Aile ou la Cuisse, la Grande Vadrouille en cascade de De Funès épileptique (tandis que M6 ressortait la série-épouvante du Gendarme (à Saint-Tropez etc.) et TF1, de ses poubelles, la Septième Compagnie…), le «patrimoine» en question ressemble à un gigot du dimanche chez mémé si souvent décongelé, cuit, servi, recongelé en sauce depuis quarante ans qu’il constitue à lui seul un foyer épidémique en puissance qu’aucune mouche un tant soit peu équilibrée n’approche plus sans porter un masque triple épaisseur.
Qui dirige la France ? Pompidou, Giscard ? On se trouve téléporté dans ce temps béni où Internet n’existait pas et où, soi-disant, on communiait tous ensemble, tous ensemble, devant une production nationale déjà bien spécifique dans son horizon neuneu et confinée dans une bien commode hégémonie culturelle au détriment de tout le reste, que l’arrivée des socialistes en 1981 a fugacement bousculé (avant de tout miser sur la chaîne payante «branchée», Canal +). Les chiffres du moment parlent d’eux-mêmes avec des scores de près de 3 millions de téléspectateurs pour cette case du divertissement post-prandial qui sent la déprime en Ehpad et le canapé de salon au cœur gros. Est-ce que c’est grave ? En fait, oui, parce qu’on mesure au profit d’une situation panique, la terrible réduction du champ de vision pensé, organisé, planifié de longue date par le service public au nom d’un impératif idéologiquement douteux de coller à une demande qui n’est en fait qu’un déficit chronique de l’offre.