L’édito politique – France Inter
A la faveur de la crise, un consensus se dessine pour tourner le dos au libéralisme économique
Déjà, avant la crise, une grande partie des responsables français, soit détestait le libéralisme économique, soit l’appliquait partiellement, plutôt à contrecœur, mais convaincus que seul le sérieux budgétaire, un allègement des charges pouvait nous sortir du chômage de masse.
Dans la foulée néolibérale thatchérienne des années 80, la droite et la gauche de gouvernement ont peu ou prou suivi cette pente pente ici jugée libérale, même ultra-libérale, mais qui, selon les critères anglosaxons, reste largement socialisée.
Toujours est il que depuis 1986, la droite française avait un discours basé sur la réduction des dépenses publiques. Ce discours, plus ou moins impliqué dans les périodes où elle était au pouvoir, était encore plus affirmé : en 2017, le candidat Fillon proposait d’inédites coupes dans les budgets sociaux et une réduction drastique du nombre de fonctionnaires.
Le candidat Macron voulait aussi, dans une moindre mesure, réduire la sphère publique et promettait un retour à l’équilibre budgétaire. D’ailleurs, une fois installé au pouvoir, n’avait il pas choisi des ministres de droite pour Bercy ? Et aujourd’hui, voilà que ce sont ces ministres qui annoncent de futures dépenses en masse.
Oui, mais pour sauver l’économie et dans un moment particulier.
Certes, mais ce qui est frappant, c’est qu’ils ne le proposent pas, comme le font les Allemands, par exemple, promettant de retrouver rapidement la voie de l’équilibre. Non : ils promettent une relance massive, un soutien d’ampleur dans le cadre d’un changement de doctrine durable.
Bruno Le Maire, ministre de l’Economie issu du LR, semble, à la faveur de la crise, dont l’origine serait aussi un excès de la mondialisation libérale, semble vouloir renouer avec une vieille tradition de la droite française, gaulliste ou démocrate chrétienne, peu portée sur le libéralisme, attaché au rôle central de l’Etat, une sorte de colbertisme planificateur.
Il suffit de se souvenir, puisqu’il s’agit de sortir d’une situation exceptionnelle, du conflit d’après guerre en 1945 entre le radical socialiste Mendès France et le gaulliste René Pleven. Les deux prônaient un interventionnisme fort, mais le premier, de centre gauche, proposait une cure d’austérité salariale et même l’abandon temporaire des 40 heures pour maintenir la monnaie à flot, alors que Pléven, avec les communistes, estimait que le coût social de cette potion serait trop lourd. C’est de cette controverse qui a popularisé l’expression “le remède qui pourrait tuer le cheval”.
De Gaulle trancha en faveur de Pléven : la droite française était moins libérale que le centre gauche à l’époque. Elle a prétendu l’être pendant ces trente dernières années en forçant sa nature. C’est fini. Aujourd’hui, la droite ne critique aucune des prévisions de dépenses faramineuses proposées par Bercy et l’un des siens, Bruno Le Maire. En réalité, elle retrouve son lit naturel, celui du capitalisme d’Etat.
Un virus venu d’un pangolin chinois aura peut être la peau d’un autre virus, dont la droite et une partie de la gauche française étaient des porteurs plutôt asymptomatiques : le TINA “there is no alternative” tatchérien.