L’historien Daniel Dessert n’a pas épargné Colbert (1619-1683) dans ses ouvrages. Il dénonce pourtant l’absurdité du procès qui est fait à l’ancien ministre de Louis XIV. Daniel Dessert est l’auteur de nombreux livres sur le XVIIe siècle, dont « Le Royaume de monsieur Colbert » (Fayard, 2007) et « Colbert ou le mythe de l’absolutisme » (Fayard, 2019)
Que pensez-vous, en tant qu’historien spécialiste de Colbert et qui n’a pas épargné ses critiques à son égard, du procès fait actuellement à ce personnage ?
C’est inepte. On ne refait pas ainsi l’histoire 300 ans après la mort d’un homme. On essaie de connaître son œuvre, mais on ne plaque pas sa vision du monde sur des gens du XVIIe siècle, comme si ceux-ci avaient la même vision que la nôtre. Rappelons que le XVIIe siècle est un univers encore esclavagiste ; en Méditerranée, les pays européens rachetaient des esclaves aux Barbaresques d’Afrique du Nord, ils capturaient des Turcs pour les mettre sur des galères… Il subsistait même dans certaines régions de France des traces de servitude. La France était un pays pétri de droit romain, hérité d’une Rome pour qui l’esclave était une réalité normale et une clé de voûte du système.
Mais les attaques visent aussi l’hommage qui a été rendu plus tard, au XIXe siècle, à Colbert.
Dans la saga que s’est constituée la France, Colbert est l’un des personnages devenus au cours des siècles des totems intouchables. On peut remettre en cause un totem sans remettre en cause tout le personnage. Or, les critiques actuelles des antiesclavagistes ne font aucune distinction. Quel a été le type d’hommage rendu par la monarchie de Louis-Philippe – la statue présente devant le Palais-Bourbon date des années 1830 – puis la République ? Ce n’est pas le concepteur du Code noir qu’on honore. Si on a mis la statue devant cet édifice, c’est qu’on célèbre le grand commis de l’État, législateur, homme des règles, de la réglementation, de la normalisation d’un royaume , soi-disant intègre – j’ai montré dans divers ouvrages qu’il n’en était rien sur ce dernier point –, dans lequel la République s’est reconnue. Aujourd’hui, on trouve une statue de Colbert devant l’École navale, à Lanvéoc, et les Eaux et Forêts vouent également un culte à celui qui a créé leur office et fait rédiger le Code forestier… Il n’est pas certain que ceux qui veulent déboulonner sa statue adhèrent au projet républicain. […]