L’assassinat du professeur Samuel Paty bouleverse le corps enseignant. Après le sentiment de révolte, il y a cette peur de se frotter aux sujets interdits : religion, caricatures et liberté d’expression.
(…) Parmi les thèmes à aborder par les professeurs avec les classes de quatrième : la liberté d’expression. Il raconte : « Naïvement, l’année dernière, pour mon tout premier cours sur ce sujet, j’ai décidé de mettre les pieds dans le plat et abordé le sujet des caricatures de Mahomet. Malheureusement, ça ne s’est pas vraiment passé comme je l’imaginais. » Lui espérait les voir débattre, discuter, échanger, s’ouvrir à d’autres opinions, « penser les libertés au pluriel ». Avant de tomber de très haut. « Quel que soit le profil des élèves, il y a tout de suite eu un consensus pour dire qu’on ne peut pas toucher aux religions. Ça m’a frappé. À partir de là, on se dit qu’il y a du boulot… »
(…) Une élève prend la parole, autour le silence se fait : « Depuis plusieurs années, la liberté d’expression est menacée parce que certains journalistes manquent de respect aux religions et ne prennent pas en compte les lois… Si on dépasse les limites, il y aura des attentats. » Dans la salle, tous acquiescent. Au milieu, le professeur est dépité.
(…) Pour les ramener à la raison et engager une autre discussion, le professeur Jorda (professeur de français en lycée professionnel en Seine-Saint-Denis) dégaine une vidéo de drapeaux français brûlés au Pakistan en septembre 2020 en réaction à la republication des caricatures par l’hebdomadaire, pour leur montrer « où l’intolérance peut mener ». « Je pensais les faire réfléchir, mais la plupart des élèves se sont levés et ont applaudi. » Stupeur.
(…) « Ils ont une vision politique très confuse. Pour eux, Charlie, c’est l’extrême droite. Alors, pour lutter contre eux, tous les moyens sont légitimes. L’insulte comme la violence. Les reprendre sur cette question-là, c’est se ranger du côté des “racistes”. »
(…) « (…) Quand vous rapportez à votre syndicat que votre classe était au bord de l’émeute, entre insultes à la République et propos homophobes, et qu’on vous répond que vous n’auriez pas dû offenser leur croyance, que voulez-vous faire ? Nous ne sommes pas tous des héros. Alors, on abandonne. »
« La peur est très forte depuis vendredi, et nous ne sommes pas rassurés, que ce soit par l’atmosphère ambiante ou par notre hiérarchie si prompte à nous sanctionner. Si vous pouvez ne pas citer mon nom, finalement… », nous intime une professeure interrogée quelques heures auparavant.