Mohamed Louizi est un ingénieur et essayiste, ancien frère musulman, qui dénonce l’islamisme et les double discours de certains musulmans dans les médias, ses livres, et sur son blog.
Après chaque attentat islamiste, « nous », c’est-à-dire la frange la plus engagée sur le terrain religieux et la plus revendicative parmi les Français de confession musulmane, sommes « victimes » d’amalgames de tout genre. Cela « nous » fait mal, très mal. La menace que nous exagérons à dessein plane au-dessus de nos têtes. Nous craignons pour nos vies. Notre quotidien est un enfer. Nous dormons mal la nuit. Nous digérons mal la nourriture. Nous souffrons le martyre devant nos écrans à chaque fois que l’on parle de l’islam politique et de l’islamisme. Heureusement, la chaîne qatarie Al-Jazeera est là pour nous aider à nous évader, à nous armer contre l’adversité et contre l’islamophobie de l’Etat Français. Heureusement, la chaîne saoudienne Iqraa est là aussi par ses psalmodies pour nous consoler, par ses chants religieux pour nous bercer, par ses exhortations pour nous promettre le paradis éternel. Nous nous sentons dans le viseur de la société et de l’Etat français, on ne sait pour quelle raison. Comprenez bien que vos « attaques » verbales contre les islamistes, quand ceux-là vous attaquent par balles, cela nous fait très mal. De grâce, pas d’amalgame !
S’il est vrai que nous refusons l’étiquette « islamiste », nous sommes conscients que sans nous, sans notre aide depuis les années 70 et 80, les islamistes ne pouvaient exister, du moins, ils ne pouvaient se sédentariser irrévocablement sur le territoire français. Pour la petite histoire, nous nous souvenons du jour où des jeunes étudiants frérosalafistes avaient fui leurs pays d’origine, après avoir déclaré la guerre aux régimes politiques en place. Des régimes jugés « mécréants » par ces jeunes barbus fuyards. Parmi ces étudiants islamistes, il y avait des Syriens qui avaient pris part à de nombreux actes criminels et attentats contre le régime de Hafez el-Assad. Il y avait des Egyptiens Frères musulmans qui avaient fui l’Egypte et sa justice après l’assassinat d’Anouar el-Sadate. Il y avait des Tunisiens takfiristes qui avaient provoqué la riposte du régime laïque de Bourguiba. Il y avait des Marocains qui avaient quitté le royaume après l’assassinat du socialiste Omar Benjelloun par un islamiste. Il y avait des Algériens, des Irakiens, des Libyens, des Jordaniens, des Soudanais. Ils sont venus en France, terre d’asile, sans rien dans la poche, un sac de vieux vêtements à la main. Nous les avons accueillis, nourris, logés et adoptés mais, de grâce, pas d’amalgame !
Nous les avons aidés à terminer leurs études. Nous leurs avons proposé nos filles pour qu’ils fondent leurs foyers, pour trouver une stabilité et un équilibre familial. Ils sont devenus nos beaux-fils, pères de nos petits-enfants : ces NTF, comme aiment les appeler des frérosalafistes. NTF veut dire : Natifs sur le Territoire Français. Nous parlions un français très moyen voire médiocre. Eux, instruits et relativement cultivés, ils nous ont aidés à redresser la tête. Nous pratiquions sans artifices ni ostentation un islam spirituel pacifique, ils nous ont armés d’un autre islam identitaire revendicatif et conquérant. Nous étions sur la voie de l’intégration, ils nous ont sauvés de l’assimilation grâce à Dieu en nous reliant à notre communauté de foi et de loi, à notre Oumma islamique transnationale. Peut-être devons-vous assumer à vie ce « péché originel » qui n’en est pas un. Peut-être pas. Nous le savons, ces jeunes étudiants islamistes que nous avons pris hier sous nos ailes bienveillantes, sont devenus nos porte-voix aujourd’hui. Dieu soit loué. Certains parmi eux s’appellent désormais « Musulmans de France ». Hier, ils s’appelaient UOIF. D’autres s’activent sous d’autres noms, sous d’autres bannières, en multipliant les passerelles. Nous nous en réjouissons mais, de grâce, pas d’amalgame !
Sans nos dons, parfois déductibles de nos impôts, sans notre générosité, les frérosalafistes, Frères musulmans comme Wahhabites, ne pouvaient et ne peuvent construire leurs QG politiques, c’est-à-dire nos chères mosquées, à proximité de nos demeures, au milieu de nos quartiers, sur des terrains jadis municipaux que nous avons conquis, grâce au soutien d’élus de gauche comme de droite qui aiment notre folklore oriental et nos gâteaux au miel. Nos collectes d’argent durant les nuits de Ramadan et les prêches de vendredi ont permis aux islamistes de les construire et, au passage, de blanchir une bonne partie de l’argent pétrodollars provenant de certains pays du Golfe via des circuits et des montages financiers très sophistiqués : hier depuis l’Arabie Saoudite et le Koweït et aujourd’hui depuis le Qatar. Même si nous en sommes conscients, il n’en demeure pas moins qu’eux c’est eux et que nous c’est nous. De grâce, pas d’amalgame !