[…] Isabelle (prénom d’emprunt), professeure de français exerçant en banlieue parisienne […] est « tombée de sa chaise » après avoir questionné ses élèves à la suite de la minute de silence organisée dans son établissement le 2 novembre. Voici son témoignage. […]
J’ai commencé mon cours en présentant des dessins de Daumier [un célèbre caricaturiste du XIXe siècle], puis des Unes de Charlie Hebdo, mais pas celles représentant Mahomet. Jamais, je n’ai employé le mot caricatures. Le cours s’est bien passé. Après, je leur ai dit de prendre une feuille et de répondre, anonymement, à ces trois questions : « Que s’est-il passé le 16 octobre ? » ; « Qu’avez-vous retenu du discours d’Emmanuel Macron lors de l’hommage à Samuel Paty ? » ; « Y a-t-il des points que vous souhaitez évoquer ? »
Et là, je suis tombée de ma chaise. En résumé, un tiers des élèves disait : « Ce n’est pas normal de critiquer l’islam, comme les autres religions, d’ailleurs » ; « C’était mieux avant quand il n’y avait pas de liberté d’expression » ; « Pourquoi les caricatures sont-elles aux programmes ? » ; « Je ne vois pas l’intérêt de parler de tout ça. » Nous avons échangé là-dessus. À la fin, je leur ai dit, pour détendre l’atmosphère : « Rassurez-moi, vous n’allez pas me décapiter ? » Un élève m’a répondu : « Vous inquiétez pas. Pas vous… »
Un tiers d’une classe qui conteste le programme, c’est effrayant, ça va être difficile à déconstruire. Que répondre à cet élève de seconde qui, lors d’un exposé, a pixélisé le sexe d’une statue de Modigliani, parce qu’il trouvait ça « inconvenant » ? Que dire à ces élèves qui se disent choqués par Persépolis [bande dessinée puis film de Marjane Satrapi sur sa jeunesse en Iran] ? Que répondre quand on me demande : « Pourquoi Dieudonné, il perd tous ses procès, et Charlie Hebdo, jamais ? » […]