L’écrivain américain Douglas Kennedy déplore, dans une tribune au « Monde », que notre époque manque aussi cruellement d’humour et que les rares à oser encore manier la dérision subissent les foudres des forces du politiquement correct.
Tribune. Pour moi, tout a commencé par un sombrero. Il y a quelques années, dans une des petites universités les plus élitistes du pays, Bowdoin College, dans le Maine, ce chapeau est devenu objet de controverse. Un étudiant d’origine colombienne avait décidé d’organiser une fête d’anniversaire pour un ami, dont l’invitation disait : « Le thème est la tequila… faites-en ce que vous voulez. » Outre le breuvage mexicain, l’hôte avait aussi prévu pour ses invités des mini-sombreros, dont beaucoup se coiffèrent. Certains firent des photos et elles se retrouvèrent aussitôt sur les réseaux sociaux.
Et voilà soudain que les forces du politiquement correct s’abattirent sur les intéressés. De nombreux participants furent placés en « quarantaine sociale » par l’université. Les hôtes de la fête durent quitter la résidence étudiante. Bowdoin les accusait de « stéréotype ethnique » et le bureau des élèves – d’après un article du Washington Post – publia une « déclaration de solidarité » à l’égard de toutes les personnes « blessées ou affectées » par cet incident, qu’il considérait comme un acte d’« appropriation culturelle ».
Or la semaine suivante, par un délicieux hasard du calendrier, la cantine de l’université organisait un dîner à thème mexicain, et je ne pus m’empêcher de penser : « Au moins, personne n’avait de sombrero pour manger son guacamole. » Ce qui était une autre façon de dire que ce genre d’ironie survient toujours quand on a justement perdu tout sens de l’ironie.