À l’occasion du dramatique attentat devant les anciens locaux de Charlie Hebdo le 25 septembre dernier, la problématique des mineurs étrangers isolés, dits “mineurs non accompagnés”, a refait la une de l’actualité. Michaël Cheylan, notre contributeur sur les questions africaines, répond à nos questions.
Quelle est la situation des mineurs non accompagnés en France aujourd’hui ?
Si le phénomène n’est pas nouveau, il a crû ces dernières années “de manière spectaculaire” pour reprendre les termes du Sénat1, au point d’être très identifié dans les territoires à la fois par les élus et, désormais, l’opinion. Au 31 décembre 2019, la France prenait en charge, via l’aide sociale à l’enfance (ASE), près de 40 000 “mineurs non accompagnés” (MNA), selon les chiffres de l’Assemblée des départements de France (ADF), et non 16 000 comme certains l’affirment parfois2. En 2012, ils étaient à peine un millier.
Et le phénomène continue de prendre de l’ampleur. Sur l’ensemble de l’année 2020, 40 000 personnes étrangères se présentant comme mineures devraient avoir sollicité le statut de MNA. Sur ces 40 000, la moitié environ devrait être intégrée au dispositif de l’ASE, soit directement par les services du département, soit par le juge après un recours introduit par les candidats recalés, ce qui fait un total de 20 000 personnes.
Sur l’ensemble de l’année 2020, 40 000 personnes étrangères se présentant comme mineures devraient avoir sollicité le statut de MNA.
Une situation qui ne va pas sans crispation en particulier dans les départements qui supportent le coût de prise en charge qui s’élève en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an3. Le coût total pour la collectivité en 2019 s’élevait à deux milliards d’euros (à la charge des départements qui reçoivent une compensation de l’État pour une partie de ces dépenses) contre 50 millions en 2012.
Ce chiffre pourrait atteindre 2,5 milliards d’euros en 2020 et, si la dynamique actuelle n’était pas contrariée, trois milliards d’euros en 2021.
Encore faut-il y ajouter les coûts indirects (comme la quote-part du coût de fonctionnement des services déconcentrés et décentralisés affectée à cette problématique, la prise en charge de la phase de mise à l’abri et d’évaluation de minorité4, l’insertion sociale, les frais de santé via l’aide médicale d’État, etc.).5
Le 25 septembre dernier à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a déclaré qu’il se rendrait au Maghreb pour régler le problème des MNA en provenance de cette région du monde qui, assure-t-il, “est l’essentiel des problèmes que nous connaissons“. Est-ce le cas ?
Tout dépend en réalité de ce que l’on entend par “problèmes“.
Si l’on se place d’un point de vue sécuritaire, le ministre de l’Intérieur, auquel il faut faire crédit de s’emparer de ce sujet trop longtemps négligé, a raison. En effet, les mineurs, réels ou prétendus tels, venant du Maghreb, qui se concentrent davantage que d’autres dans les grandes agglomérations (Paris, Bordeaux…) et sont souvent la proie de réseaux mafieux ou criminels, sont sur-représentés dans les statistiques de la délinquance des mineurs. On parle ainsi volontiers des “mineurs marocains de la Goutte d’Or” , quartier situé dans le 18e arrondissement de la capitale, ou “des mineurs maghrébins de Bordeaux“.
Sur les huit premiers mois de 2020, on dénombre déjà l’interpellation de 6 309 mineurs étrangers en région parisienne, soit une augmentation de 42 % par rapport à l’année précédente, qui atteint même 51 % à Paris. À Bordeaux, 44 % des faits de délinquance observés lors du premier trimestre 2020 sont imputables à des MNA selon la Préfecture de Gironde. Le phénomène a atteint une telle ampleur que l’Assemblée nationale a ouvert une mission d’information sur les “Problématiques de sécurité associées à la présence de mineurs non accompagnés“.
Contrairement à une idée répandue, la problématique des MNA est en réalité très concentrée puisque trois pays à eux seuls (Guinée, Mali et Côte d’Ivoire) génèrent 61 % des flux.
En revanche, si l’on se place d’un point de vue quantitatif, on constate, à la lecture des chiffres de 2019 fournis par la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse que les mineurs non accompagnés présents en France6 viennent, dans leur très grande majorité – à hauteur de 63,51 % – avant tout d’Afrique de l’Ouest, et de trois pays en particulier : Guinée Conakry (24,67 %), Mali (23,29 %) et Côte d’Ivoire (13,16 %) (à quoi il faut ajouter, même si c’est plus marginal, 2,39 % venant du Sénégal).
Ensuite, et dans une mesure moindre, les mineurs étrangers présents en France viennent de pays d’Asie centrale et du Sud : 4,83 % du Bangladesh, 3,32 % du Pakistan et 2,73 % d’Afghanistan (soit 10,78 % du total).
Enfin seulement, ils sont originaires d’Afrique du Nord : 4,11 % d’Algérie, 3,27 % du Maroc et 3,19 % de Tunisie (soit 10,57 % du total).
On le voit, contrairement à une idée répandue, la problématique des MNA est en réalité très concentrée puisque trois pays à eux seuls (Guinée, Mali et Côte d’Ivoire) génèrent 61 % des flux et pratiquement 100 % des flux proviennent de trois régions du monde (Afrique de l’Ouest, Afrique du Nord et Asie centrale et du Sud)7….
Que le ministre de l’Intérieur veuille clarifier la question de la présomption de minorité est une nécessité car la procédure actuelle d’établissement de minorité, qui génère un contentieux abondant, présente des failles telles8, comme l’a dramatiquement rappelé l’actualité la plus récente, que le statut de MNA fait aujourd’hui l’objet d’une fraude importante, très souvent estimée à un taux largement supérieur à 50 %9 et 10. …
Mais le principal problème se situe en amont. Ceux qui briguent le statut de MNA, dans leur écrasante majorité, ne fuient pas les conflits13. Ils sont dans un premier temps à la recherche d’un moyen juridique pour entrer et se maintenir sur le territoire, puis d’une prise en charge financière et sociale, et enfin d’opportunités économiques et d’un éventuel regroupement familial14…..
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