À Nantes, près d’une centaine de sans-papiers livrent illégalement pour Deliveroo et Uber Eats avec des comptes loués. Le phénomène existe quasiment depuis l’arrivée des plates-formes. Mais depuis quelques années, il s’est perfectionné. Pour comprendre, nous avons passé deux semaines avec un groupe de coursiers originaires de Guinée. Un moyen d’observer, de l’intérieur, comment un réseau s’enrichit sur le dos des migrants. Premier épisode de notre série sur les livreurs à vélo.
« On n’exploite personne, on s’entraide entre compatriotes », ricane Abdoulaye*. Ce livreur de 30 ans est arrivé illégalement de Guinée en 2017. Après quelques années à battre le pavé nantais, sac isotherme vissé sur le dos, il a obtenu son titre de séjour.
Mais pendant plusieurs mois, faute de papiers en règle, il n’a pas pu ouvrir un compte à son nom. Et a donc été obligé d’en louer un. Une pratique évidemment interdite, mais largement répandue : « À l’époque, tout se faisait sur internet. Maintenant, ça reste dans la communauté. »
Une centaine de sans-papiers roulent pour les géants de la livraison
La situation est presque devenue banale. À Nantes, près d’une centaine de sans-papiers louent des comptes Uber Eats, Deliveroo ou encore Stuart pour travailler. En clair, ils se tournent vers les micro-entrepreneurs déjà inscrits sur les plateformes pour rouler à leur place, en leur cédant une part de leur rémunération. « Ici, tu paies entre 80 et 100 € par semaine », calcule Abdel*, un Algérien de 26 ans….
Les migrants préfèrent désormais traiter avec des personnes de confiance. Ils cherchent pour cela à rencontrer ceux qui parlent la même langue ou qui sont de la même ethnie, par exemple. Un phénomène que connaît bien Olivier Peyroux, sociologue, spécialiste des migrations et de l’exploitation des exilés : « Faute de diaspora installée dans le pays d’accueil, faute d’oncle, de cousin qui le protégera et l’accompagnera pour honorer les liens de famille, le migrant devient une proie facile pour les compatriotes qui veulent profiter de lui. »
Car quelle que soit la nationalité en jeu, comme le démontre l’histoire des migrations, dit-il, « on trouve toujours, parmi les premiers immigrés arrivés, des personnes qui vont exploiter leurs compatriotes avec très peu de scrupules ».