« Seule une révision de l’ensemble de notre système éducatif permettra de casser les déterminismes et de relancer l’ascenseur social. C’était la promesse de 2017 »
C’est devenu un lieu commun : notre système éducatif est l’un des plus inégalitaires au monde. Et pourtant, ce gouvernement est l’un de ceux qui ont le plus fait pour lutter contre les inégalités scolaires : instruction obligatoire à trois ans, classes dédoublées, dispositif « Devoirs faits », cités éducatives…
Or force est de constater que nous ne sommes pas parvenus à briser le plafond de verre. Et pour cause, depuis des décennies toutes les réformes achoppent sur des obstacles structurels liés à l’organisation de notre système éducatif, qui ne permet pas de lutter vraiment et efficacement contre les inégalités.
Si ces constats font consensus parmi les spécialistes, ils ne sont jamais abordés, tant les réformes nécessaires bousculent l’ordre établi, les rouages institutionnels et les corporatismes. C’est donc à une révolution copernicienne de l’ensemble du système qu’il faut nous attaquer.
Celui-ci repose en effet sur une succession de ruptures qui nuisent aux enfants les plus fragiles. Partagée entre deux mondes qui se tournent le dos et s’ignorent mutuellement, celui de la petite enfance jusqu’à trois ans, celui de l’Education Nationale ensuite, la prise en charge des 0-6 ans en est l’exemple le plus manifeste. Cette singularité française n’a jamais été remise en question. Elle est pourtant préjudiciable, notamment pour les enfants les plus défavorisés car elle crée une rupture dans la continuité pédagogique, le suivi des familles et la détection des difficultés.
Apprentissages. Or c’est le moment des premiers apprentissages qui peuvent entraîner des retards insurmontables, notamment pour les enfants de deux à trois ans, dont on sait qu’il s’agit d’un âge clé pour celui du langage. Seule la mise en place d’un véritable continuum entre 0 et 6 ans permettra d’éradiquer les inégalités à la racine. Cela passe par la création d’une grande direction de la petite enfance au sein du ministère de l’Education Nationale et d’un nouveau métier. Il s’agira de former de véritables spécialistes de l’enfance en alliant le meilleur des compétences des personnels de la petite enfance et de l’Education Nationale : santé, soin, psychomotricité, parentalité, éveil, apprentissages, détection des troubles et du handicap…
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la rupture entre le primaire et le collège explique pour une bonne part le creusement des inégalités au collège, qui ne devrait pas être conçu comme un « petit lycée », mais bien comme le prolongement de l’école pour l’acquisition du socle commun.
Au-delà de ces facteurs institutionnels, le principal obstacle à l’égalité des chances est celui de l’assignation à résidence des enfants de milieux défavorisés.
Comment parler d’égalité quand, dans des centaines d’établissements, les enfants pauvres n’ont aucune chance tout au long de leur scolarité de croiser un élève issu d’un autre milieu ?
Personne ne s’est jamais réellement attaqué au phénomène de ségrégation et de ghettoïsation qui sont autant de trahisons de la promesse républicaine. Comment parler d’égalité quand, dans des centaines d’établissements, les enfants pauvres n’ont aucune chance tout au long de leur scolarité de croiser un élève issu d’un autre milieu ? Comment parler d’émancipation quand ces élèves sont assignés à résidence dans des établissements désertés par les classes moyennes et supérieures ?
Mixité. Il faut mener une action résolue en faveur de la mixité. Cela suppose tout d’abord de bénéficier d’un état des lieux complet de la situation, partagé par tous les acteurs, et donc la transparence sur les données sociales des élèves. Cela suppose ensuite de faire de ce sujet un enjeu démocratique en associant toutes les parties prenantes à l’élaboration de la carte scolaire. Cela suppose enfin de prendre des mesures radicales et courageuses, quitte à décider de la démolition/reconstruction de certains collèges très ségrégués pour lesquels tout a été tenté en vain.
La hiérarchisation de notre système d’enseignement supérieur, son élitisme et sa rigidité nécessitent là encore un traitement de choc. Au-delà des politiques d’ouverture sociale, nous défendons une mesure radicale : l’anonymisation du lycée d’origine dans le cadre de Parcoursup. Parce qu’on ne choisit pas son lycée, on ne peut accepter que celui-ci vous pénalise au moment de l’orientation, ce qui est encore trop souvent le cas aujourd’hui et procède du même mécanisme de discrimination que le rejet des CV en fonction du lieu de résidence.
Une telle mesure permettrait de rebattre les cartes, de lutter contre l’assignation à résidence et d’envoyer un signal fort à notre jeunesse. Quand une machine s’enraye et ne fonctionne plus, on la répare. Seule une révision de l’ensemble de notre système éducatif permettra de casser les déterminismes et de relancer l’ascenseur social. C’était la promesse de 2017, c’est aujourd’hui une nécessité.