Pour tenter de comprendre ces propos et la vive polémique suscitée par la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, France info a choisi d’interroger le sociologue Eric Fassin, enseignant-chercheur à l’université Paris-8, qui travaille notamment sur les questions de genre et de race. Il dénonce une « chasse aux sorcières ».
Les domaines de recherche d’Eric Fassin : Démocratie sexuelle, Nationalismes sexuels, Campagnes anti-genre, Genre, sexualité, race, intersectionnalité, Redistribution et reconnaissance, Politisation des questions sexuelles et raciales, Représentations et non-représentations minoritaires, Politiques d’immigration et d’identité nationale, Migrations sexuelles, Gauche, minorités et populisme LEGS
Par le choix des mots, la ministre semble quand même désigner une partie des recherches en sciences sociales, non ?
Effectivement, ce sont les sciences sociales critiques. Que veut dire ce mot ? Non pas critiquer ou dénoncer, mais remettre en cause l’évidence des choses. Quand on parle d’intersectionnalité, par exemple, comme je le fais dans mon enseignement, en articulant race, genre et classe, on donne à voir la complexité du monde. Du même coup, on interroge l’ordre social. Au lieu de faire comme s’il allait de soi, comme s’il était naturel, on montre que les normes sont politiques : elles reproduisent des rapports de domination multiples.
C’est bien pourquoi il est absurde de prétendre que les études postcoloniales, les recherches sur le genre, la race ou l’intersectionnalité, seraient “identitaires”, et donc “séparatistes” : c’est tout le contraire. Parler de domination, c’est poser la question de la source des inégalités, dont l’aggravation menace la cohésion de notre société. Autrement dit, il s’agit d’égalité et non d’identité. Quand Emmanuel Macron accuse (cité par Le Monde) les universitaires qui parlent d’intersectionnalité de “casser la République en deux”, doit-on comprendre que l’égalité ne fait plus partie de la devise républicaine ?
Quelle est la proportion des recherches visées par la ministre ?
De quoi parle-t-on ? Moi, je travaille sur l’intersectionnalité, mais ce n’est pas la même chose que les études postcoloniales ou décoloniales. Admettons qu’on mette tous les savoirs critiques dans le même sac… Il n’empêche : cela ne représente pas beaucoup de monde, peu de financements, aucun laboratoire, aucun master. […]