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Depuis sept années, le maire écologiste Éric Piolle a imaginé une nouvelle politique culturelle à Grenoble : une « transition écologique et culturelle » à la fois citoyenne et radicale. Ce bilan est aujourd’hui sévèrement critiqué par les milieux culturels. Enquête à Grenoble.

Par où commencer ? Entre happenings politiques, désorganisation culturelle, remue-ménage salutaire et démissions à répétition, comment rester objectif ? Quels mots trouver pour définir la situation culturelle grenobloise entre expérimentation culturelle innovante, joyeux bordel, psychodrame permanent et guerre idéologique sans merci ? Comment analyser un projet audacieux de refonte intégrale de la politique culturelle inédit en France depuis André Malraux et Jack Lang ? 

« Ne me parle pas de Grenoble », répète Fernand Raynaud dans un sketch célèbre. Parlons-en justement ici car ce débat municipal a une portée nationale. Et alors qu’Éric Piolle, le maire de la ville, a une ambition nationale et présidentielle, il est utile d’observer ce laboratoire culturel à ciel ouvert et d’en décrypter les forces ainsi que les limites.

Pour mener à bien cette enquête de France Culture, j’ai choisi de passer une semaine à Grenoble et de rencontrer les acteurs culturels et les élus. Ce qui m’a frappé d’abord, c’est la méfiance des uns vis-à-vis des autres, la peur et la violence politique qui semblent avoir atteint les hommes et les femmes d’art. 

Dans un lieu culturel grenoblois où je débarque à l’improviste, le directeur me prend à part, loin des regards, et me parle à voix basse pour condamner sévèrement la politique culturelle du « khmer vert » – comprenez Éric Piolle. Nombreux sont ceux qui s’expriment « off the record », par peur des représailles sur leur budget, et beaucoup d’autres ne retournent aucun de mes appels, terrorisés à l’idée d’être cités publiquement dans un contexte « délicat » où ils jouent « leur peau ». Au musée et au centre d’art, on m’oppose le devoir de réserve des fonctionnaires pour se taire. 

A contrario, les casques bleus du maire, plus ou moins discrets, viennent jusqu’à mon hôtel, bravant le couvre-feu, pour tenter de me convaincre du bien-fondé du « piollisme » et faire un éloge stalinoïde de la politique culturelle des Verts.

Les attachées de presse du maire et son service de communication, fort achalandé, déploient un storytelling millimétré, multipliant les villages Potemkine non sans insister sur telle personne à interviewer en priorité ou faire annuler tel rendez-vous non opératoire. 

Plusieurs directeurs d’institutions culturelles ont claqué la porte avec fracas ; au moins cinq autres sont en « burn out » ; plusieurs postes ne sont pas pourvus ; et le duo acrobatique à la tête du centre chorégraphique vient de se démembrer, l’un étant nommé à Paris à la direction du Théâtre national de Chaillot alors que l’autre est empêtré dans une mauvaise affaire de plagiat. La danse, à son tour, vient d’être décapitée. A Grenoble, la guerre culturelle est bel et bien déclarée.

Joyeux de cordée

Tout commence en 2014. Contre toute attente, le 30 mars, la liste d’Éric Piolle emporte la mairie de Grenoble. Un bastion, tenu depuis plus de dix-huit ans par le parti socialiste, s’écroule.

 Éric Piolle nouvellement maire de Grenoble élu le 30 mars 2014.
Éric Piolle nouvellement maire de Grenoble élu le 30 mars 2014.• Crédits : JEAN-PIERRE CLATOTAFP

Le nouveau maire écologiste est un novice en politique, comme il le reconnaît d’ailleurs sans ambages, lors d’un long entretien à Grenoble où il me parle, lui le joyeux de cordée, de sa passion de la montagne. Béarnais venu faire ses études aux pieds des Alpes, où il est resté ancré, cet ingénieur logistique du bureau local du géant américain Hewlett-Packard, ne devient écologiste que tardivement. Il a d’abord milité aux côtés de l’insaisissable et quelque peu mégalomane Pierre Larrouturou dans un groupuscule en orbite autour du parti socialiste. Il a rejoint Europe Écologie Les Verts à la fin des années 1990 ; il est élu conseiller régional dans les années 2000 avant d’être désigné candidat aux législatives de 2012 – un échec, prévisible. Un tour de chauffe ? 

C’est dire que sa victoire à Grenoble deux ans plus tard, aux municipales, est inattendue, même au sein du parti écologiste. La lassitude des électeurs face au socialisme municipal fatigué, qui ne s’est pas renouvelé, sans parler de la guerre de succession fratricide au sein du PS local, et le fait qu’Alain Carignon, condamné pour corruption, rend problématique l’alternance à droite, lui assurent, contre toute attente, une victoire relative (dans une quadrangulaire de second tour, il obtient seulement 20 000 voix au total). 

La majorité qui sort des urnes, inédite, est faite de bric et de broc. Autour des Verts, il y a la France insoumise dont une proche de Jean-Luc Mélenchon, Élisa Martin, a été nommée Première adjointe. Différents groupuscules favorables à l’autogestion, anarchistes de gauches, trotskistes de différentes obédiences, militants anti-Carignon ou du Nouveau Parti Anticapitaliste, sans oublier les experts du « Réseau citoyen » ou de l’ADES, composent une majorité hétéroclite sans véritable expérience de l’exercice du pouvoir. 

Cette victoire aussi inattendue que serrée, et cette majorité incohérente, explique les hésitations du premier mandat. Éric Piolle n’avait quasiment pas parlé de culture durant sa campagne et personne ne se presse pour réclamer le poste d’adjoint à la culture. Sur la liste figure une employée de la SNCF, cheffe de gare à Clelles, un petit village de moyenne montagne de 540 habitants dans le Trièves. Faute de candidat, Corinne Bernard se retrouve bombardée adjointe « aux » cultures. Six ans après, elle s’est éloignée de la politique et refuse les interviews, dépitée par un monde culturel qui a demandé au maire – et obtenu – son scalp ! 

« Lorsque Corinne Bernard a été nommée, nous étions quand même un peu médusés. Je la connaissais comme cheffe de gare. Alors elle m’a contacté. ‘Aidez-moi’, disait-elle. Elle me téléphonait constamment pour que je lui explique la culture et le théâtre grenoblois. Jusqu’à l’été 2014, elle écoutait et elle semblait de bonne volonté. Et tout à coup, à la rentrée, à l’automne, tout a déraillé », m’explique Valère Bertrand. Le comédien, figure incontournable de la scène théâtrale locale et nationale, me reçoit dans son théâtre Le Pot au Noir, dans un village montagnard où il semble s’être replié après sa bataille contre Éric Piolle. Une tempête de neige nous surprend, rendant difficile notre retour « en ville ». Écouter 4 min Entretien de Valère Bertrand, comédien et directeur du théâtre Le Pot au Noir

« Les écolos de Grenoble me reprochent parfois de rouler en 4×4. Mais ils ignorent que je viens ici dans le Vercors et qu’il vaut mieux avoir quatre roues motrices si on ne veut pas rester bloqué dans la glace », ironise Valère Bertrand. Et en effet, grâce au 4×4, nous réussissons sous une tempête frénétique à rejoindre la nationale à travers les routes de montagnes enneigées. ….

Suite du long (mais fort intéressant) reportage sur France Culture

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