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Après l’édition, la télévision et l’éducation, c’est au tour des archives de se transformer en nouveau champ de bataille des luttes identitaires contemporaines. Même les archives de recettes se retrouvent mêlées à cette confrontation culturelle.

Le magazine américain Bon appétit (fondé en 1956) vient de s’engager sur ce front. En farfouillant sur son site (bonappetit.com) il y a trois semaines, une New-Yorkaise est tombée sur un article de 2015 expliquant (selon le titre) « comment faire des hamantaschen étonnamment bons ». « Les aliments traditionnels n’ont pas besoin d’être automatiquement mis au goût du jour, surtout par quelqu’un qui ne vient pas de cette tradition », a écrit sur Twitter Abigail Koffler.

Et alors ? Alors, Bon appétit a reconnu la faute et a modifié le titre, qui propose maintenant « 5 étapes pour de très bons hamantaschen ».

L’éditeur a ajouté cette note le 10 février : « La version originale de cet article comprenait un langage insensible aux traditions culinaires juives et ne correspondant pas aux normes de notre marque. […] Nous nous excusons du ton désinvolte de la version précédente et des caractérisations stéréotypées de la culture juive. »

Cette rectification s’est faite dans le cadre du Projet de réparation d’archives, qui cherche à corriger un demi-siècle d’archives de Bon appétit, mais aussi d’autres magazines comme GourmetSelf ou House & Garden pour « découvrir et éliminer le langage raciste ou insensible utilisé dans les recettes ou les notes ». En décembre, les équipes avaient déjà raboté environ 200 textes, par exemple pour éliminer des descriptions d’aliments ou de techniques culinaires présentés comme « exotiques », « surprenants » ou « bizarres ».

[…] Cet exemple montre (par la limite absurde, dirait M. Stephens) que les archives et les autres lieux de mémoire, des musées à la toponymie, font encore et toujours l’objet de luttes d’interprétation plus ou moins féroces, surtout en période de changements politico-idéologiques. Faut-il vraiment rappeler qu’on déboulonne des statues un peu partout dans le monde ? […]

Bibliothèque et Archives Canada multiplie les efforts jusqu’à devenir le champion national en cette délicate matière. L’institution, qui a accumulé 270 kilomètres de rayonnages linéaires dont 60 millions de livres, commence à y corriger les perspectives racistes d’antan, notamment à l’égard des Autochtones, systématiquement discriminés depuis des siècles, y compris dans les dépôts de la mémoire collective.

Un exemple. Une photo de 1939 prise à Lake Harbour, dans les Territoires du Nord-Ouest (Mikan 5034383), était identifiée par ce titre (en anglais) : « Pitula, une fille esquimaude prétendument jolie ». Un ajout annonce maintenant : « La jeune Inuite Pitula assise à l’intérieur sur des couvertures ». Une autre photo parlait d’un esclave dansant à Fort Providence. La correction présente un Dene. […]

« On ne changera pas le contenu d’un livre publié, mais on peut signaler que tel livre propose des termes inappropriés », dit Normand Charbonneau. « On a un bandeau en ligne pour ces avertissements. Ça va prendre des générations pour corriger l’ensemble des documents. On commence par les choses les plus évidentes. Dès qu’on les trouve, on les corrige. »

Le Devoir via MSN

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