En France, la question des libertés académiques a fait la une récemment après les déclarations de Frédérique Vidal, ministre de la recherche, sur l’islamo-gauchisme à l’université. Cette dernière posait la question du pluralisme et envisageait de confier au CNRS une enquête, « d’ordre sociologique » a-t-elle précisé plus tard, qui ferait un bilan sur le contenu des recherches universitaires et trancherait sur ce qui relève du travail scientifique et ce qui s’apparente à du militantisme
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Ce n’est pas la méthode retenue par le Center for the Study of Partisanship and Ideology (CSPI), organisme à but non lucratif créé en 2020 pour aider ceux qui développent « des idées insuffisamment étudiées en psychologie politique et en sciences sociales » ). Notamment « les biais politiques qui affectent tout, de la manière dont les questions sont posées, à la vigilance avec laquelle les résultats sont traités et même jusqu’au recrutement de ceux qui travaillent sur le champ de recherche ». Eric Kaufman, qui en est membre, vient de publier le deuxième rapport du CSPI consacré à l’étude des affiliations politiques des enseignants et des étudiants dans les universités anglo-saxonnes, principalement américaines et britanniques, et surtout à la manière dont elles influent sur la liberté d’exprimer ses idées, de conduire et d’évaluer des recherches, de recruter et de promouvoir le personnel.
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Si l’on prend l’échantillon YouGov, le plus représentatif, il y aurait en 2020 six enseignants de gauche pour un enseignant de droite au total, mais neuf pour un dans les sciences humaines et sociales (SHS). L’enquête de Mitchell Langbert et Sean Stevens aux Etats-Unis, conduite à partir des enregistrements de votes aux élections de 2016, relève un biais similaire en faveur de la gauche. Et toutes les autres enquêtes plus ou moins représentatives aboutissent à des résultats voisins. Les données YouGov indiquent que les détenteurs d’un doctorat les plus âgés, travaillant le plus souvent en dehors de l’université, sont plus souvent conservateurs que les docteurs travaillant à l’université. Il se pourrait donc que le climat idéologique n’ait pas seulement dissuadé les conservateurs d’entrer à l’université mais les ait conduits à ne pas souhaiter y rester.
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Effets intimidants du climat idéologique
Ce biais idéologique se traduit par un climat hostile aux idées non progressistes très bien perçu par les conservateurs britanniques. Mais cette hostilité est encore plus prégnante aux Etats-Unis où elle est ressentie aussi par une bonne partie des centristes, laissant ainsi penser que les universités américaines penchent encore plus à gauche. Pour les seules SHS, selon les enquêtes et les pays (États-Unis, Canada et Royaume-Uni), entre 60 et 80 % des enseignants et étudiants de droite déclarent un climat hostile à leurs convictions. Contrairement aux universitaires de gauche, les enseignants de droite ont du mal à s’identifier à la culture du département où ils travaillent. Ce qui les rend taiseux sur leurs opinions politiques, tout particulièrement sur la question du Brexit au Royaume-Uni ou de Trump aux Etats-Unis. Cet effet intimidant est le plus prononcé dans les SHS, là précisément où une discussion ouverte est indispensable pour le bon fonctionnement de la recherche et de l’enseignement.
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Au total, « les professeurs conservateurs qui s’autocensurent ne sont pas paranoïaques mais agissent rationnellement ». S’ils « veulent voir leurs papiers publiés, recevoir un financement ou être promus, ils ont intérêt à cacher leurs opinions politiques ». Ce qui les conduit à se réfugier dans des domaines moins idéologiquement dangereux, à mettre l’accent sur des données empiriques ou encore à écrire des choses auxquelles ils ne croient pas.
Eric Kaufmann a estimé que si près de la moitié des universitaires nord-américains s’opposeraient au licenciement d’un dissident, seulement un peu plus d’un quart le feraient publiquement, laissant ainsi la voix libre à l’autoritarisme de l’administration vis-à-vis de ceux qui refuseraient une directive sur les quotas dans les listes de lecture. « L’autoritarisme progressiste triomphe grâce à une sorte de péché par omission ». Ce qui suggère que, pour résister à l’agenda des plus militants, c’est à l’échelon institutionnel, par en haut, qu’il faudrait réagir. La situation actuelle à l’université, particulièrement aux Etats-Unis, n’est pas très favorable à ce type d’initiative tant les syndicats et les institutions promeuvent cet agenda. Le principal problème réside dans le silence de ceux qui n’approuvent pas les méthodes fortes employées pour réduire au silence les dissidents sur les campus. Ceux-là forment aussi le vivier d’une mobilisation en faveur de la liberté académique.
Que faire ?
Mais Eric Kaufmann n’est pas très optimiste sur une correction en faveur de la liberté d’expression qui viendrait de l’intérieur des campus, sans intervention politique. Le Royaume-Uni a pris une initiative prometteuse en février dernier. Le ministre de l’Éducation de Boris Johnson, Gavin Williamson, a annoncé vouloir créer une sorte d’“ombudsman” de la liberté académique, un “Academic Freedom Champion” auquel tout individu pourrait s’adresser et qui pourrait aussi infliger des amendes aux universités ou les obliger à réviser leurs politiques.