Je crois que tu as un regard particulièrement critique sur ce qu’on pourrait appeler la “sacralisation des victimes”, ou en tout cas, sur l’impossibilité d’évoquer un sujet hyper tabou : le questionnement, en tant que victime, de ses propres responsabilités, ou de sa volonté de tourner la page, de s’en foutre ?
Le livre de Kouchner m’a beaucoup interpellée. Contrairement à Vanessa Springora, Camille Kouchner ne parle pas pour elle, et elle a la grande honnêteté de le dire. Elle parle pour quelqu’un qui ne veut pas parler, qui veut passer outre, ne veut pas être réduit à ça.
Je m’identifie beaucoup à cela et c’est pourquoi je parle très peu de mes viols. Je n’ai pas envie qu’on me ramène à eux. Pas par traumatisme. J’ai passé outre et je pense que c’est un des problèmes qu’on a, aujourd’hui, dans les discours sur les viols. Cette résistance, cette anti-fragilité (le fait d’être confronté à des choses négatives te rend plus fort, tu deviens plus fort à cause de l’adversité), n’est pas assez présente dans le débat, selon moi.
J’avais fait un débat avec Marlène Schiappa en 2018 après la “tribune Deneuve” [Tribune publiée dans Le Monde en 2018 intitulée “Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle”, portée notamment par Catherine Deneuve et dont Peggy Sastre est co-rédactrice, ndlr.] où j’étais en face d’Irène Théry qui m’avait dit “le problème avec cette tribune c’est que vous avez envoyé votre force de caractère dans la gueule des victimes”. Et ça m’a séchée. En quoi c’est un problème de dire “vous pouvez vous en sortir et vous allez même être plus fortes à cause ou grâce à ça” ? C’est quelque chose que j’ai beaucoup en commun avec Samantha Geimer qui a été victime de Polanski à 13 ans. Son livre est formidable là-dessus.
Pour revenir à la première question “qu’est-ce qui me dérange le plus dans le néo-féminisme ?”, c’est ce côté victimaire : on vous enfonce dans un trou en disant “vous vous en sortirez jamais, la société est dégueulasse”. On ne fait rien avec ça, à part des ruines et de la mort, c’est nul.
Pour toi, c’est une forme d’injonction ? Il y aurait un manque d’ouverture sur ce que peut être ou doit être une victime ?
Bien sûr. C’est le genre de propos qu’on peut entendre de Face à l’inceste qui dit “vous parlez pour les autres victimes”. Je pourrais aussi leur dire “vous parlez aussi pour les victimes”. Il y a des victimes différentes, qui vivent les choses différemment, et tout cela a des conséquences différentes. Tout est valide. Il faut arrêter d’être parano et de dire “si on met l’accent sur tel profil et pas sur l’autre, c’est l’autre profil qu’on silencie”.
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