Selon le chroniqueur et essayiste Olivier Babeau, si la mixité sociale est évidemment souhaitable, sa mise en place est en réalité bien plus délicate.
« Les gens sont en demande de mixité sociale » Cette déclaration de la ministre du logement Emmanuelle Wargon est intéressante. Elle témoigne d’une confusion trop souvent entretenue entre le souhaitable et le réel. Confusion qui mine l’efficacité des mesures qu’elle inspire. […]
Première raison : les classes sociales sont moins mutuellement dépendantes qu’hier. La représentation marxiste de la société reposait sur une opposition fondamentale entre les possesseurs du capital et ceux qui n’avaient que leur force de travail. L’après-guerre aura été le moment où, dans l’euphorie de la reconstruction, on avait cru que l’ensemble de la société se rassemblerait autour de la classe moyenne. Mais la révolution numérique a relancé la puissante machine à séparer les individus. Les lignes de démarcation ne sont plus les mêmes. Le capital est toujours en filigrane, mais le sens des relations a changé. […]
La société n’est plus une pyramide, mais une juxtaposition de poches mutuellement imperméables. Dans ces conditions nouvelles, la rencontre des groupes sociaux devient plus improbable que jamais. Hier, le patron et l’ouvrier étaient mutuellement dépendants, obligés de collaborer pour des raisons économiques. Les rapports pouvaient être froids et même conflictuels, mais ils existaient. […]
Deuxième raison : les barrières au regroupement entre semblables se sont effondrées depuis cinquante ans, provoquant un mouvement rapide d’homogénéisation des groupes sociaux. Autrefois, le curé, l’instituteur étaient des intellectuels forcés de vivre dans un contexte en très fort décalage par rapport à leur propre univers mental. C’était le lot des petites communautés villageoises. Partir était une option risquée et difficile. La plupart des gens vivaient où ils étaient nés. Désormais, la mobilité et les capacités de communication permettent à chacun d’être en contact permanent avec son semblable. […]
Dernière raison poussant à l’absence de mixité sociale : à l’ère du capitalisme cognitif, la mixité est plus que jamais un obstacle à la reproduction sociale. Donner toutes les chances à sa progéniture, c’est leur garantir l’accès aux deux trésors complémentaires de la formation et des bonnes fréquentations. Si la localisation est un facteur déterminant en immobilier, c’est souvent moins pour le lieu en lui-même que pour ceux qui y vivent. […]
Pour maximiser les chances de leurs enfants, les parents sont prêts à tous les sacrifices. Même les partisans les plus fervents du principe de la mixité sociale rendent les armes face à la perspective de voir leurs propres rejetons tirés vers le bas, et isolés au milieu de congénères qui n’ont rien à lui apporter d’utile du point de vue de la compétition sociale.