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Antoine Laurent, 29 ans est officier de la marine marchande.
Pour “trouver du sens” (sic), il a passé 2 ans chez SOS Méditerranée, qu’il raconte dans un livre qui sort aujourd’hui, et est désormais reconverti en politique, étant directeur de campagne aux élections régionales pour une liste écologiste (NDR : soutenue par EELV) dans les Pays de la Loire

Vous avez débuté avec SOS Méditerranée en 2016, c’est-à-dire en pleine crise migratoire. Vous dites dans votre livre que vous avez travaillé avec un manque de moyens, pas assez de personnel, pas assez de matériel. Votre constat est donc qu’aujourd’hui, les choses n’ont pas changé ?

Oui, les ONG engagées, depuis 2015 pour la Méditerranée centrale, font ce qu’elles peuvent. Elles comblent un manque d’engagement de la part des États qui sont en théorie en charge d’assurer la sécurité en mer, qui ont des moyens d’action qui sont d’un très haut niveau de professionnalisme. Malheureusement, parce qu’ils ne sont pas assez présents, des ONG, avec des moyens de la société civile et des navires de commerces reconvertis, sont forcées de s’engager. On fait ce qu’on peut avec ce que l’on a…

L’idée de l’Aquarius a été de rassembler à bord d’un même navire des humanitaires, professionnels de l’aide médicale d’urgence et des marins, comme moi, qui avions cet esprit de solidarité propre aux gens de mer pour s’engager à aller secourir des personnes en détresse. C’est cette jonction de deux compétences qui a permis à cette mission d’opérer aussi longtemps, avec une bonne efficacité.

Comment on passe d’officier de la marine marchande à sauveteur sur l’Aquarius ?

Ce constat est partagé par tous les marins que j’ai pu croiser : quand on voit ces milliers de personnes – une hécatombe – qui meurent de noyade en pleine mer, c’est intolérable et inacceptable.

Vous dites « quand on voit » : ces gens, vous les avez vus dans vos missions de marine marchande ou bien dans la presse ?

Oui, dans la presse, les images, les photos, les reportages… On ne peut y être indifférent en tant que marin. La solidarité en mer est intrinsèque aux principes des marins. On apprend à être isolés et vulnérables face aux éléments marins. Notre survie tient à la bonne volonté des navires aux alentours. Quand quelqu’un se retrouve en difficulté en mer, quelle que soit sa nationalité, sa destination, ce qu’il transporte ou « ce qu’il fait là », on se pose pas de questions, on va le chercher. Quand on voit ces images à l’époque de migrants qui se noient en mer on trouve cela totalement intolérable qu’il n’y ait pas suffisamment de moyens déployés pour aller les secourir.

Cela me paraissait naturel à l’époque de proposer mes services. J’avais pris à l’époque conscience d’un certain nombre de mes privilèges d’officier de la marine marchande qui pouvaient servir d’autre personnes. (…) Je voyais les conséquences de la mondialisation sur les populations et l’environnement. Je n’allais pas jouir de mes privilèges, il fallait que je les mette à profit d’autres personnes en difficulté. J’ai pu mettre à profit mes compétences, mon énergie, ma jeunesse pour aller secourir des migrants en Méditerranée. (…)

Le nouveau bateau de SOS Méditerranée, l’Ocean Viking, est-il mieux que l’Aquarius ?

Il a à peu près la même taille mais il est plus moderne, plus gros et plus rapide, ce qui n’empêche pas aux autorités de lui saper la planche (sic) et de réduire ses capacités d’actions : l’Ocean Viking devrait appareiller beaucoup plus souvent et être devant la Libye beaucoup plus régulièrement. Malheureusement, les moyens déployés par cette ONG qui sont pourtant exceptionnels sont contraints et c’est déplorable.

Michèle une auditrice : “Que l’Aquarius fasse son travail c’est bien, mais pourquoi ne pas raccompagner les migrants en Libye ?”

Le droit maritime repose sur le bon sens absolu. Or, renvoyer les migrants en Libye bafouerait les principes de ce droit.

La première règle est que dès qu’une personne est en danger en pleine mer, tous les moyens doivent être déployés, tous les navires doivent aller les chercher.

Un second principe essentiel, est qu’une fois que les personnes sont rescapées, elles doivent être déposées dans un lieu en sécurité. C’est là où il y a une énorme défaillance aujourd’hui. Beaucoup de migrants sont interceptés par les gardes côte libyens, avec le consentement et même la complicité parfaite de l’Union Européenne et sont renvoyés vers la Libye qui est un pays en guerre où ils sont torturés, soumis à l’esclavage ou violés.

Vous comprenez tout de même que face à une crise sanitaire et économique qui met beaucoup de gens en difficultés, il puisse y avoir une attitude de “fermeture” par rapport à ces migrants y compris de la part des pays européens ?

Le “sentiment d’angoisse” qui se répand est exacerbé par certains qui instrumentalisent le sujet migratoire à des fins politiques.

Cette angoisse, en particulier ressentie par des personnes fragiles en France ou en Europe, qui sont dans la précarité et “qui ont une certaine insécurité” qu’elle soit sanitaire, sociale ou autre est compréhensible et logique. On ne peut pas reprocher à ces personnes de se sentir angoissées dès lors que des étrangers viennent sur notre sol. Elles pourraient craindre que leur situation se dégrade…

Mais selon moi, la solution est de réduire les inégalités et l’insécurité que ces personnes fragiles rencontrent, améliorer leurs conditions de vie et leur environnement et non trouver dans la question des migrants un nouveau problème : les migrants qui viennent en Europe ont eux-mêmes fui l’insécurité de leur pays…

France Inter, le 13-14

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