Auteur de l’expertise initiale du meurtrier de la retraitée, et seul à avoir conclu à l’altération et non à l’abolition de son discernement, le psychiatre Daniel Zagury estime, dans une tribune au « Monde », que l’arrêt de la Cour de cassation peut permettre de faire avancer le droit sur l’irresponsabilité des sujets, qui, pour l’instant, repose sur des facteurs très aléatoires.
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Quelles conséquences tirer de ce diagnostic ? Au demeurant, le rapport entre les points de vue est beaucoup plus partagé qu’il n’a été dit (sept experts et une seule conclusion d’altération). J’ai en effet conclu à l’altération du discernement. Devant l’évidence, le deuxième collège d’experts a reconnu, lors de l’audience publique de la chambre de l’instruction, que le diagnostic de schizophrénie sur lequel reposait son raisonnement était erroné. Dont acte pour son honnêteté. Le troisième collège a estimé qu’il était habituel, dans de tels cas, de conclure à l’abolition, le docteur Coutanceau affirmant ultérieurement, dans un article de L’Express, que la conclusion contraire aurait été également possible. C’était une manière de dire que la question n’était pas seulement clinique mais, eu égard aux multiples conséquences en chaîne de cet avis, on en reste pantois.
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A tort ou à raison, j’ai estimé qu’un jeune homme de 27 ans, strictement dépourvu de tout antécédent psychiatrique, condamné une vingtaine de fois, quatre fois incarcéré, consommateur et trafiquant de cannabis, ayant augmenté les doses, ayant changé de produit, ayant fait une bouffée délirante aiguë (BDA) d’origine exotoxique, sans évolution vers une psychose chronique, avait par sa conduite participé à l’émergence de sa pathologie.
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L’auteur des faits, Kobili Traoré, n’étant pas psychiatre, il ne pouvait en effet connaître la sémiologie précise des différents états pathologiques susceptibles d’être induits par le cannabis. Mais comme tout citoyen, il sait que la consommation d’un produit toxique illicite est susceptible de générer des effets de perte de contrôle aux conséquences imprévisibles. De même que « nul n’est censé ignorer la loi », fiction juridique sur laquelle repose l’édifice du code pénal, ne signifie pas que chacun en connaît tous les articles par cœur, « nul n’est censé ignorer les effets du cannabis » ne veut pas dire que tout le monde en maîtrise les données scientifiques. S’il est inéquitable d’imputer à Kobili Traoré l’intention délibérée de tuer, il est faux de prétendre qu’il n’est pour rien dans la perte de contrôle qui a permis le passage à l’acte criminel.
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En réalité, on ne juge pas ceux dont seule la maladie éclaire le crime, et qui n’ont rien fait pour la provoquer. Un schizophrène qui vole ou commet une agression sexuelle le fait rarement en lien direct avec sa maladie.
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N’étant pas juriste, et encore moins pénaliste, je m’en remets aux juristes pour la formulation la plus appropriée du nouvel article de loi. Il conviendrait que l’article 122-1 du code pénal, respecté dans son principe intangible et dans son architecture, soit complété. Par exemple : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, si cette abolition ne résulte pas de façon déterminante de sa propre action. »