Tout le monde connaît Fdesouche, moins son fondateur, Pierre Sautarel. Quelle tête a la tête de gondole de la réinfosphère ? Eh bien, elle est bien faite, à l’affût de la rumeur du monde, comme un poste récepteur, puis émetteur, branché H24. Pierre Sautarel est aussi discret que son site est connu et reconnu. Nous avons pu le rencontrer longuement dans le cadre d’un dossier consacré au phénomène identitaire. Un moment exceptionnel
ÉLÉMENTS : Pourquoi partir à la rencontre de Pierre Sautarel ? Le phénomène de société, c’est Fdesouche…
FRANÇOIS BOUSQUET. L’un ne s’explique pas sans l’autre. Sautarel, c’est le personnage clé de la réinfosphère. Cela fait plus de quinze ans qu’il est là. Son site a conservé au fil des ans son flux en dépit de la montée en puissance des réseaux sociaux : 80 à 100 000 visiteurs uniques par jour, qui se renouvellent, le double en cas d’actualité brûlante. Qui dit mieux, qui fait mieux ? Personne. Ici plus qu’ailleurs, le plus dur, c’est de durer. Pierre Sautarel dure. Or, il n’est guère connu, il ne cherche pas à l’être plus que ça, il fuit les sollicitations. Tout le monde veut son quart d’heure de célébrité, pas lui. Dans cette foire aux vanités, il détonne par sa discrétion. Quantité de journalistes aimeraient le rencontrer ou l’interviewer pour brosser un portrait à charge. Ce qu’ils ont déjà fait du reste. Le Monde, Les Inrocks, Libé. Mais jamais ils n’imaginent que c’est un personnage très structuré politiquement. Ils veulent voir en lui un geek empoté qui s’est fait voler son walk-man par des racailles dans un train de banlieue, ce qui constituerait la scène primitive de son engagement, pour parler comme Freud. Non, c’est d’abord un formidable journaliste, qui sent l’info avec un flair quasi infaillible, qui sait ce que le public attend. Un bon journaliste – une espèce en voie de disparition –, c’est un nez et des oreilles ; les yeux viennent après. Comment être un bon médium pour capter le bruit de fond de la société ? Ce bruit de fond pour Sautarel, c’est le fait divers. Par sa récurrence monotone, le fait divers fait sens : il dit combien les sociétés multiculturelles sont des sociétés multiconflictuelles.
ÉLÉMENTS : Fdesouche, c’est pour vous du journalisme ?
FRANÇOIS BOUSQUET. La première raison de la crise de la presse, c’est la médiocrité de la presse. S’il y avait aujourd’hui un Pierre Lazareff, l’homme qui a fait de France-Soir le plus gros journal français après-guerre, il s’intéresserait à ce type de personnage. Sautarel a inventé un modèle de journalisme à prix cassé – le rêve de toutes les rédactions –, pas seulement un journalisme de lien, pas seulement une revue de presse sans commentaire. Car il faut bien comprendre que le commentaire, c’est ce qui nous empêche de voir le réel. Il a disparu ici au profit de la réalité brute, sans filtre. Allons plus loin : le commentaire est le monopole des médias centraux sur le contrôle de l’information. Il est constitué d’un ensemble de non-dits, de leurres, de faux en écriture, d’antiphrases soviétiformes, le tout formant la novlangue du Système. La fonction de cette novlangue : faire écran au réel. Comme percer cet obstacle ? En contournant ses dispositifs de neutralisation. Savez-vous qu’il n’y a pour ainsi dire pas d’émeutes urbaines en France ? Si vous faites une recherche avec pour mot-clé « émeute », vous ne pouvez identifier qu’une émeute sur dix. Comment procéder alors ? Avec d’autres mots-clés. Sautarel en a deux mille dans sa besace, comme les cailloux blancs du Petit Poucet. Tapez « mortier » et vous récupérerez jusqu’à 80 % des articles sur les émeutes urbaines.
Mais Fdesouche, c’est beaucoup plus que cela : c’est une machine à sortir des scoops en haut débit. Pour m’en tenir à l’actualité toute fraîche, Sautarel et sa bande ont sorti l’affaire de la candidate LREM voilée, Sarah Zemmahi, fait connaître la manif LGBT de Touraine interdite aux Blancs, exhumé les verbatim anti-Blancs de Youssoupha. Le tableau de chasse est impressionnant. Parmi ses grands faits d’arme, Fdesouche a été le premier à parler des viols de masse en Angleterre, bien avant avant la presse nationale anglaise, en relayant la PQR anglaise. Le premier à parler des agressions sexuelles du Nouvel An 2016 en Allemagne et à relancer l’affaire outre-Rhin. À lancer la polémique Frédéric Mitterrand, en 2009, en ressortant le passage où l’auteur de La mauvaise vie évoque sa pédophilie touristique. À permettre la déprogrammation du concert de Black M lors du centenaire de la bataille de Verdun, en 2016. À poster les vidéos des émeutes de Dijon l’été dernier. Etc., etc.
ÉLÉMENTS : 100 000 visiteurs uniques par jour, c’est énorme, mais on est quand même loin des grands quotidiens, type Le Monde ou Le Figaro, en termes de fréquentation…
FRANÇOIS BOUSQUET. Les médias centraux ne citent pas Fdesouche, certes, mais ils le pillent dans les grandes lignes. Sautarel ne demande pas mieux. Son site est suivi par des gens comme vous et moi, consommateurs d’infos, mais aussi par les grosses rédactions qui s’en servent comme d’une agence de presse. Ce qui fait de Fdesouche une sorte d’AFP de la dissidence qui met en ligne des dépêches présélectionnées. Une info mise en ligne par Fdesouche est reprise dans les deux heures par les chaînes d’info en continu. De là, elle se diffuse, par capillarité, par scandale, par contagiosité, à l’ensemble médiatique. Elle est virale par paliers. C’est l’hommage du vice à la vertu journalistique.
Reportage complet de François Bousquet dans le numéro 190 d’Éléments