La puissante agence de renseignement américaine NSA a utilisé un partenariat avec l’agence de renseignement de la défense danoise (FE) pour mettre sur écoute les câbles internet danois afin d’espionner des dirigeants, des hommes politiques de premier plan et des fonctionnaires de haut rang en Allemagne, en Suède, en Norvège et en France.
La chancelière allemande Angela Merkel, le ministre allemand des affaires étrangères de l’époque, Frank-Walter Steinmeier, et le chef de l’opposition allemande de l’époque, Peer Steinbrück, figurent parmi les hommes politiques des pays voisins du Danemark espionnés par la NSA dans le cadre d’une coopération américano-danoise.
Ce sont là quelques-unes des conclusions surprenantes d’une enquête interne secrète de la FE, qu’un groupe de travail a conclue en mai 2015.
DR peut le révéler en coopération avec SVT, NRK, Süddeutsche Zeitung, NDR, WDR et Le Monde sur la base des recherches de DR.
Opération Dunhammer
Pendant des mois, DR a tenu plusieurs réunions avec neuf sources différentes, qui ont toutes eu accès à des informations classifiées FE. Toutes les informations contenues dans cet article ont été confirmées de manière indépendante par plusieurs sources.
L’enquête interne secrète de la FE sur l’espionnage américain par le biais des câbles internet danois portait le nom de code “Opération Dunhammer”, selon les sources.
L’enquête a été menée par un groupe de travail de la FE avec quatre hackers et analystes du service de renseignement, qui ont examiné la coopération américano-danoise dans le plus grand secret pour éviter que la NSA n’ait connaissance de l’enquête de la FE.
Selon les informations de DR, les conclusions du groupe de travail ont été résumées dans un rapport secret intitulé “Dunhammer”, qui a été remis aux dirigeants de la FE en 2015.
Le rapport et les données de renseignement qui sous-tendent l’opération Dunhammer sont, selon les sources de DR, au cœur du scandale qui a secoué la FE et le ministère de la défense en août dernier et a conduit à la révocation des dirigeants de la FE.
- Il s’agit d’une affaire qui constitue le plus grand scandale en matière de renseignement de l’histoire du Danemark, déclare une source à DR.
[…]
Une enquête de la télévision publique danoise affirme que l’agence de renseignement américaine a détourné les systèmes danois de surveillance électronique pour espionner certains de ses plus proches alliés.
[…]Sur la foi des « sélecteurs » inspectés, le rapport Dunhammer établit que, outre les trois personnalités politiques allemandes, de hauts responsables français, suédois et norvégiens ont été directement espionnés, sans que leurs noms ne puissent être confirmés solidement par DR à ce stade.
Sollicitée, la NSA n’a pas voulu apporter de commentaire, pas plus que le service de renseignement militaire danois. La ministre danoise de la défense, Trine Bramsen, a refusé de s’exprimer sur ces révélations, tout en affirmant que « l’écoute systématique de proches alliés est inacceptable ». Contacté par Le Monde et informé que des personnalités françaises figuraient parmi les cibles de la NSA,l’Elysée n’a pas souhaité réagir ni répondre à nos questions. Le ministère des affaires étrangères n’a pas donné suite à nos sollicitations.
[…]
La collaboration continue
Grâce aux révélations de Snowden, on sait que la NSA a proposé plusieurs accords de ce type à ce qu’elle appelle ses « partenaires tiers » : l’agence américaine apporte son savoir-faire technique et logistique pour mettre en place une installation d’écoute au sein du pays partenaire. Leur usage est ensuite partagé, la NSA pouvant utiliser ces installations pour rechercher ses propres mots-clés dans le flux des communications interceptées. En 2010, selon un document de la NSA fuité par Edward Snowden, la NSA entretenait cinq de ces partenariats.
En Allemagne, la révélation d’un accord de ce type entre les services de renseignement du pays et la NSA avait fait scandale et débouché sur une enquête parlementaire. Au Danemark, tout l’état-major de FE a été suspendu en août et son ancien dirigeant, sur le point de devenir ambassadeur à Berlin, a été rappelé. La collaboration avec la NSA, elle, continue.