Tout en réclamant plus de moyens pour l’égalité hommes-femmes, la militante a créé son entreprise, Egae, qui dispense des formations de lutte contre les violences sexuelles. Un conflit d’intérêts qui ne semble pas gêner une activiste aux méthodes de «cancel culture», qui adopte les slogans de l’intersectionnalité.
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«Comment je vais? Je vais comme quelqu’un qui se serait fait faucher par un camion, de dos et dans le noir, sans avoir rien vu venir, alors qu’il marchait sur le trottoir…», confie l’un d’entre eux, Emmanuel Tellier. Son histoire se situe quelque part entre La Tache, de Philip Roth, et Le Procès, de Franz Kafka. Le 23 mai 2019, il a été licencié pour faute simple du magazine culturel où il était journaliste depuis dix-huit ans. En cause? des «agissements sexistes». «Il y a au moins présomption», justifiait Télérama pour sa défense aux prud’hommes. En réalité, il s’agit de griefs anciens, non datés, mélange de rumeurs et d’accusations sans preuve, démentis par Emmanuel Tellier. Deux ans plus tard, le tribunal a statué: «La véracité et la réalité des propos reconstitués des années plus tard ne reposent sur rien d’objectif ni de certain», ajoutant qu’il n’y avait pas «ne serait-ce qu’un commencement indirect de preuve», et condamnant Télérama à verser 90.000 euros à Emmanuel Tellier. «J’ai le sentiment d’avoir été pris dans un scénario rodé de fabrication d’un coupable idéal, d’avoir payé pour l’exemple», dit le journaliste, toujours au chômage après deux ans de dépression.
Ce licenciement abusif a eu lieu après un audit interne mis en œuvre par l’entreprise de Caroline De Haas, Egae, auprès de la rédaction. La militante féministe s’est impliquée dans une enquête menée à charge, contactant personnellement une personnalité extérieure à la rédaction de Télérama pour lui demander, à plusieurs reprises, de témoigner contre Emmanuel Tellier, alors que celle-ci n’avait rien à lui reprocher. Le tout dans une ambiance explosive suite au pseudo-scandale de la Ligue du LOL qui a abouti à une dizaine de licenciements de journalistes et plusieurs dépressions. Quand on demande à Caroline De Haas si elle ne s’interroge pas sur les conséquences dramatiques que peut avoir l’emballement médiatique qui a suivi ces révélations, elle élude le sujet:«J’ai moi-même été victime de membres de la ligue du LOL», nous dit-elle, renvoyant à un tweet, en effet odieux, de Baptiste Fluzin, membre éphémère de ce groupe Facebook. «Ce qui me fait réfléchir, c’est donc plutôt de comprendre comment des personnes peuvent menacer de viol une femme sur les réseaux sociaux en toute impunité.» Donc, Emmanuel Tellier mérite d’être puni même s’il est innocent parce que d’autres sont coupables?
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Au Monde, la formation imposée aux salariés a fait grincer quelques dents. Certains cadres de la rédaction y sont allés en traînant des pieds. Quelques journalistes ont refusé. «Je me suis senti insulté, je ne suis ni une bête sauvage ni un enfant, je ne vais pas me faire rééduquer par quelqu’un qui a manifesté avec des imams intégristes à la manifestation contre l’islamophobie», témoigne l’un d’entre eux, qui souligne un clivage générationnel très fort au sein de la rédaction. Un autre cadre de la rédaction qui a «subi» la formation la décrit comme «déresponsabilisante» et «infantilisante», adoptant «un ton de culpabilisation générale».
«Pourquoi fait-on appel à Caroline De Haas, alors même qu’elle est une figure contestée, très clivante, et sans autre expertise que celle qu’elle s’est s’auto-attribuée?», se demande, amer, Emmanuel Tellier. C’est la question que nous avons posée à l’école HEC. Son directeur, Eloïc Peyrache, a annoncé dans une interview aux Échos, le 11 mai dernier, son choix de confier au cabinet de Caroline De Haas la formation de 100 % de ses étudiants aux violences sexuelles et sexistes. «Le cabinet Egae est apparu comme celui qui disposait des meilleures références, des connaissances les plus précises sur le plan juridique et de la meilleure méthodologie», explique la direction, assurant qu’une mise en concurrence a eu lieu pour l’appel d’offres. L’annonce a été rendue publique deux semaines seulement avant la sortie du livre du journaliste Iban Raïs, La Fabrique des élites déraille (Robert Laffont), une enquête sur le sexisme dans les grandes écoles où HEC est mise en cause. Egae lave plus blanc que blanc. «On achète le label De Haas pour être tranquille», commente le DRH d’un grand groupe français d’infrastructures en télécommunications qui assure avoir subi des pressions parce qu’il a mis fin au contrat de son entreprise avec Egae, dont il jugeait la qualité des formations insuffisante.
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