Le Saoudien Mohammad Abdelkrim Alissa, chef de la Ligue islamique mondiale, soutient Emmanuel Macron dans sa lutte contre le séparatisme. Il est le chantre d’un islam modéré, le nouveau mot d’ordre du prince héritier Mohammed ben Salmane pour redorer le blason de l’Arabie saoudite. Et l’un des rares leaders musulmans à s’être rendus à Auschwitz. À l’occasion d’une visite à Paris, où il a notamment rencontré le grand rabbin Haïm Korsia, il livre au Point sa vision de l’islam de France et raconte les bouleversements en cours dans son pays.
Vous êtes un des rares leaders religieux musulmans à avoir soutenu Emmanuel Macron après l’attentat contre Samuel Paty. Pourquoi? Mohammad Abdelkrim Alissa:
Cela relève de ma conviction religieuse, intellectuelle et humaine, à propos de laquelle il n’y a pas à tergiverser. La violence et le terrorisme se trouvent partout et sont commis par des personnes qui se réclament à tort de la religion. L’attentat terroriste contre Samuel Paty n’a rien à voir avec l’islam. Déjà, au temps du prophète Mahomet, certaines actions portaient préjudice à la religion et à la personne même du Prophète. Mais celui-ci est toujours resté indifférent, car le Coran demande de « ne pas se retourner face à ces personnes ».
Le droit à la caricature en France a suscité des manifestations de colère dans plusieurs pays musulmans. Comprenez-vous ces réactions?
Nous appelons chaque individu vivant sur le sol français à se conformer aux valeurs de la République française et à ses lois. Néanmoins, nous pensons dans le même temps que le peuple français, à travers son grand héritage historique, ne peut se permettre de blasphémer les symboles religieux, parce que ses valeurs plaident justement pour le respect de l’autre. Porter préjudice à la dignité d’autrui n’est pas acceptable mais, même si cela se produisait, on ne peut pas répondre à la haine par la haine. Il ne faut absolument pas faire usage de la violence. Je dois respecter la Constitution française quand bien même je ne serais pas d’accord avec elle. Car elle représente la volonté du peuple français.
Comprenez-vous que certains citoyens français de confession musulmane estiment au contraire que cette loi les stigmatise?
[…] Par exemple, je pense que l’existence de rayons de nourriture halal ou casher n’est en rien un élément de séparatisme. Maintenant, s’il subsiste un sentiment d’injustice au sein d’une communauté, celle-ci doit privilégier la voie juridique. Toute pratique qui ne s’inscrit pas dans cette approche est à mon sens un séparatisme contre la loi. […]Avez-vous été déjà approché par le gouvernement français à propos de la réforme de l’islam de France ?
Non, nous n’avons pas été approchés et nous nous opposons catégoriquement à l’ingérence dans les affaires intérieures des États. Maintenant, je pense que votre pays devrait posséder une instance de référence qui représente l’autorité musulmane et qui puisse édicter ses propres édits religieux, dans le respect de la Constitution, des lois et des valeurs françaises. Il n’est pas normal de recevoir sur son smartphone en France des fatwas en direct de l’étranger ! À mon avis, le Conseil français du culte musulman (CFCM) connaît mieux que quiconque la situation de l’islam en France. Il devrait avoir sa propre commission de rédaction de fatwas et de formation des imams. Il pourrait également être à la tête d’un grand fonds musulman visant à récolter des financements uniquement destinés aux instances qui en ont besoin. Tout cela en concertation étroite avec le gouvernement français. Il en va de la sécurité nationale de la France. Ainsi, nous sommes opposés aux financements orientés venant de l’étranger avec des objectifs politiques et idéologiques. […]