La tendance n’est pas nouvelle, mais elle s’est accentuée. À peine les jeunes professeurs des écoles ont-ils réussi le concours en Île-de-France qu’ils demandent à changer d’académie. À peine ont-ils emménagé à Créteil qu’ils rêvent de littoral. Selon les statistiques du ministère de l’Éducation nationale, il y avait, en 2020, 56 fois plus de demandes de sortie du département de Seine-Saint-Denis que d’entrées… À l’inverse, dans les Hautes-Alpes, on comptabilise 76 fois plus de candidats à l’installation qu’au départ.
Vice-président du Syndicat national des écoles (SNE), Pierre Favre raconte une anecdote éclairante : « Je me suis trouvé saisi par une jeune collègue qui venait de réussir le concours dans le 93, indique-t-il. Elle voulait savoir comment retourner tout de suite dans les Pyrénées-Orientales. Son mail était truffé de fautes d’orthographe ! Je lui ai répondu qu’elle aurait plus vite fait de démissionner et de se présenter directement dans sa région natale… » Le choix de l’académie lors de l’inscription au concours de recrutement de professeur des écoles (CRPE) est crucial : les admis seront affectés dans l’académie où ils ont eu le concours. Pour augmenter le nombre de candidats dans des départements où la démographie scolaire est en forte croissance, les académies de Créteil et Versailles organisent un « concours supplémentaire ». Car en Seine-Saint-Denis, sur les quelque 12 000 enseignants du premier degré, 2 239 ont fait une demande de sortie en 2020, soit près de 20 % des effectifs. On y dénombre une arrivée de titulaire pour près de 9 sorties. Alors qu’il n’accueille que 3,5 % des effectifs des enseignants du premier degré, le 93 concentre près de 14 % des demandes de mutations interdépartementales. Seules 15 % d’entre elles aboutissent.
[…]« Je me considère comme otage de mon département d’affectation. » Il y plus de dix ans, Catherine présentait le concours de professeur des écoles. Reçue à l’académie de Versailles, qui regroupe quatre départements, elle est envoyée dans les Hauts-de-Seine. Pendant huit ans, la jeune femme enseigne dans des zones d’éducation prioritaire ou en « zone violence ». En 2018, son conjoint se voit proposer un poste dans le Sud. « Depuis, je fais une demande de mutation par an et le département du 92 me la refuse », souffle la jeune femme, mariée et mère d’un enfant, des critères essentiels pour les enseignants du premier degré qui souhaitent partir sans tarder.
En effet, les mutations interdépartementales obéissent à des règles bien précises. Les instituteurs sont libres de renouveler leur demande chaque année. Lors de la première phase, qui a lieu autour du mois de novembre, ils doivent élaborer une liste ordonnée des départements dans lesquels ils souhaitent être affectés. Ces vœux sont ensuite classés selon un barème qui prend en compte à la fois la situation personnelle de l’enseignant (éloignement du conjoint, le nombre d’enfants, handicap), son ancienneté, le lieu où il exerce (dans un quartier urbain marqué par des problèmes sociaux et de sécurité, en école REP ou REP+) et, enfin, de ses demandes d’affectation antérieures (formuler le même premier vœu de manière consécutive peut rapporter des points). Les candidats ayant le barème le plus élevé obtiennent leur mutation.
Seulement voilà, tout dépend de la capacité d’accueil des départements souhaités et des besoins des départements d’origine. Or ceux de l’académie de Versailles et de Créteil, que certains surnomment des « départements prisons », attirent de moins en moins. « Il n’y a pas beaucoup de renouvellement, qui permettrait aux enseignants le souhaitant de partir », rapporte Fabienne Rouvrais, secrétaire départementale du SNUipp-FSU 92 (premier syndicat des enseignants du premier degré). Jeanne*, 43 ans, en a fait les frais. Enseignante dans le 92, avec plus de dix-neuf ans d’ancienneté sans interruption, elle n’a pu rejoindre son mari dans le département de la Manche. « Pendant un an, nous avons été séparés », se souvient-elle. L’institutrice se met alors en disponibilité. Un statut qui lui permet de cesser son activité sans démissionner, et de rejoindre son mari. Elle ne touche plus de salaire et son poste est gelé. Aujourd’hui, cette mère de famille est toujours « bloquée ». « J’ai 425 points. Il m’en faudrait au moins 800 pour exercer là où je me trouve. »
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