Ce n’est pas une coïncidence si les talibans se sont d’abord concentrés sur les villes frontalières, car celles-ci ont une importance économique considérable. Les combattants contrôlent désormais une dizaine de points de passage internationaux. Outre Zaranj, ils ont Spin Boldak, une porte vers le Pakistan, Islam Qala, le principal point de passage vers l’Iran, et Kunduz, qui leur confère le contrôle des routes vers le Tadjikistan.
L’histoire récente a largement démontré l’importance de ces villes. Lorsque les factions en guerre en Afghanistan ont cessé de recevoir une aide militaire et financière, principalement de la part des Russes, à la fin des années 1980, puis de la part des Américains, le contrôle du commerce est devenu essentiel.
Cela comprenait notamment l’économie de la drogue, qui s’est développée massivement à partir du début des années 1990 pour aujourd’hui générer environ 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires, un montant qui représente 10 % du PIB national. Selon d’autres estimations, entre 4 et 5 millions de personnes (sur une population totale de 25 millions d’habitants environ à l’époque) étaient impliquées dans la filière dans les années 2000.
Ce phénomène se reproduit aujourd’hui. Dans les années 1990, par exemple, Zaranj était une sorte de Far West qui s’est développé comme plaque tournante du commerce illicite, s’appuyant sur des connexions transfrontalières de longue date entre les tribus baloutches spécialisées dans la contrebande de carburant, de drogues et de personnes.
Des activités similaires s’y poursuivent aujourd’hui : l’opium et l’héroïne, provenant des champs de pavot des provinces voisines de Farah et du Helmand, passent en contrebande de l’autre côté de la frontière. Tout comme le trafic d’êtres humains, qui est en plein essor.
En parallèle, Zaranj est devenue une ville de passage clé pour le commerce légitime, notamment pour le carburant, les matériaux de construction, les biens de consommation et les denrées alimentaires. Situé sur la route reliant Kaboul au port iranien de Chabahar, le gouvernement afghan a investi dans les infrastructures frontalières dans le cadre d’un effort plus large visant à renforcer les relations avec l’Iran et à réduire sa dépendance vis-à-vis du commerce avec le Pakistan.
[…]La culture du pavot explose
Les talibans contrôlent donc désormais une grande partie de l’économie afghane, dont la production du pavot et les routes commerciales de la drogue vers le Pakistan, l’Iran et le Tadjikistan. Ce contrôle apparaît encore plus essentiel que par le passé. En effet, selon la dernière enquête de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la superficie des terres afghanes affectées à la culture du pavot a augmenté de 37% en 2020 après une décrue ces dernières années. Une augmentation qui concerne en premier lieu les régions du sud et de l’ouest du pays.
Cette évolution est liée à une série de facteurs, dont l’instabilité et les conflits politiques, les sécheresses dévastatrices, les inondations saisonnières importantes, la diminution des financements internationaux et des possibilités d’emploi.
Cette tendance est aujourd’hui appelée à se poursuivre, car les moteurs structurels de l’économie de l’opium – conflits armés, faible gouvernance et pauvreté généralisée – pèsent fortement. Tant dans les campagnes que dans les villes frontalières, l’économie de l’opium constitue en effet une importante bouée de sauvetage pour les Afghans, dont beaucoup vivaient déjà une crise humanitaire.
La recrudescence du conflit intervient ainsi alors qu’une grave sécheresse affecte le pays et fait grimper les prix des denrées alimentaires, tandis que l’épidémie de Covid-19 connaît par ailleurs une flambée. Depuis le début de l’année, quelque 360 000 personnes ont déjà été déplacées en raison de tous les troubles qui secouent le pays.
Avec la victoire des talibans, il est donc peu probable que l’économie de la drogue connaisse un ralentissement. Certes, les combattants islamistes, qui avaient banni la culture du pavot en 2001 quelques mois avant l’intervention américaine, restent officiellement opposés aux drogues illicites, mais les moteurs sous-jacents restent trop puissants et la manne financière trop importante. En conséquence, le conflit actuel devrait contribuer à alimenter le marché mondial de l’héroïne, dont près de 90% est produite en Afghanistan, ainsi que le problème croissant de la drogue dans la région.