15 mai 2013
Chez les Anges. Le nom du restaurant m’amuse. Nous n’en sommes pourtant ni l’un ni l’autre. Borloo m’y attend sans impatience en pianotant sur son téléphone portable. Derrière la façade cossue du restaurant de la rue Latour-Maubourg, on devine l’ombre des canons des Invalides pointés sur nous.
Je connais bien Jean-Louis Borloo, sa tignasse ébouriffée et sa gouaille de poulbot ridé, depuis 1989. J’avais suivi sa conquête de Valenciennes pour Le Quotidien de Paris. Il était alors intarissable sur cette ville qu’il avait découverte quelques mois auparavant en s’occupant du club de football, et la décrivait comme un bidonville du Brésil, où même l’eau courante n’arrivait plus. Le jeune avocat enrichi avait vu la misère et ne s’en était pas remis : on se croyait à l’entendre et le voir dans un livre de Dickens, où le bénitier des chaisières bigotes avait été seulement remplacé par le triangle du franc-maçon paillard.
Il m’en a longtemps voulu de l’avoir qualifié de « second couteau de la droite ». Depuis lors, le second couteau était passé Opinel ; Sarkozy avait songé à lui pour Matignon avant de se raviser ; lui-même avait songé à la présidentielle avant de renoncer. Je l’ai toujours trouvé sympathique, mais pusillanime ; ambitieux, mais conformiste. Il n’aime pas ce qu’il voit dans mon regard sans aménité.
Il me vante avec emphase son « plan pour les banlieues » ; je lui rappelle qu’il a coûté 40 milliards d’euros ; un argent gaspillé dans la rénovation du cadre de vie, alors que le problème de la banlieue réside dans la population qui y vit. Il rejette avec véhémence mon diagnostic « discriminant » et m’explique que les 40 milliards n’ont pas été versés entièrement par l’État ; que les collectivités locales ont pris leur part ; que les travaux ont créé de l’emploi dans le bâtiment, etc. Mais voyant que ses arguments technocratiques ne m’ébranlent guère, il me lâche tout à trac : « Tu sais, avec ces 40 milliards, j’ai retardé la guerre civile de dix ans. » Je reste pantois devant un tel aveu, qu’il regrette aussitôt. Il change de sujet et reprend le ton badin qu’il affectionne. Je songe à la phrase du général de Gaulle : « En général, les hommes intelligents ne sont pas courageux. » Jean-Louis Borloo est très intelligent.
La France n’a pas dit son dernier mot – Éric Zemmour