L’auteur des « Territoires perdus de la République » publie un nouveau livre sur les poursuites judiciaires incessantes dont il a été la cible. Fiche de lecture à la suite.
Fiche de lecture du livre de Georges Bensoussan, par Michèle Tribalat
UN EXIL FRANÇAIS
Un historien face à la justice
Georges Bensoussan, L’Artilleur, 22 septembre 2021, 378 p.
13 septembre 2021
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Dans ce livre, Georges Bensoussan décrit l’enchainement des événements qui a conduit à son accusation, le déroulement des procès en première instance et en appel suivis d’un pourvoi en cassation et son rejet par la sphère académique et par une partie des instances juives. Ce processus infernal résulte de la conjugaison de lâchetés, d’abandons et de trahisons qui ont renforcé la détermination de ses détracteurs. Son cauchemar est exemplaire d’une judiciarisation inquiétante de la liberté d’expression et de son caractère intimidant. Le déni prospère sur la crainte.
Un petit rappel :
Invité à débattre avec Patrick Weil sur « Le sens de la République », dans l’émission Répliques d’Alain Flinkielkraut diffusée le 10 octobre 2015 sur France Culture, il avait repris, de mémoire, des propos tenus par le sociologue Smaïn Laacher dans un film de Georges Benayoun (Profs en territoire perdus de la République) sur l’incrustation profonde de l’antisémitisme dans l’espace domestique arabe. Smaïn Laacher parlait d’un antisémitisme « déposé dans l’espace domestique [qui] est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue. Il est dans l’air qu’on respire ». Georges Bensoussan, avait exprimé l’idée à travers la métaphore « téter avec le lait de la mère ».
Quatre jours plus tard, une tribune collective, initiée par Laurence de Cock et publiée sur Mediapart, s’en prit à l’émission d’Alain Finkielkraut et fit semblant d’y avoir entendu l’expression d’« un racisme biologique » et des « paroles haineuses » susceptibles de relever des tribunaux. Le CSA se crut alors obligé d’intervenir et ce fut le début d’un « carnaval de lâchetés et d’abandons » signant la soumission à l’air du temps.
Georges Bensoussan devint alors « un propagandiste anti-arabe » dont son employeur – Le Mémorial de la Shoah – ferait bien, en plus de de lui battre froid, de se débarrasser. La touche perverse consistait à le faire passer pour un digne héritier des pires antisémites français. Rien ne fut épargné à l’authentique pourfendeur de l’antisémitisme d’où qu’il vienne, quand d’authentiques racistes et antisémites font l’objet d’une complaisance médiatique, dès lors qu’ils se mobilisent au nom de l’islamophobie, surtout s’ils peuvent se prévaloir d’être « racisés » comme on dit aujourd’hui (cf. Mehdi Meklat et ses tweets antisémites sous son pseudo Marcelin Deschamp).
Smaïn Laacher, travaillé au corps par des « antiracistes » déchaînés, se désolidarisa de Georges Bensoussan qui avait pourtant repris l’esprit de ses propos, si ce n’est la lettre. Feignant de croire lui aussi à un racisme biologique, il chercha ainsi à protéger sa réputation et à échapper à la tourmente. Le climat d’intimidation était tel qu’il ira même jusqu’à porter plainte, plainte qu’il finira par retirer. Au final, la relaxe de Georges Bensoussan fut pour lui un soulagement.
Mais « l’odeur du sang » ayant attiré la meute, le parquet suivra un signalement du CCIF, dont la constitution de partie civile sera pourtant jugée irrecevable pour ancienneté de l’association insuffisante (ainsi que celle de son poisson pilote, selon l’expression de l’avocat Michel Laval, l’association SOS, soutien Ô sans papiers), lors du jugement en 1ère instance. Cependant, comme les champions de ce type de poursuites judiciaires (LDH, MRAP, SOS Racisme) accompagnés de la Licra, ne voulant pas être en reste, s’étaient aussi portés partie civile, le procès eut bien lieu et aboutit logiquement à une relaxe prononcée le 7 mars 2017.
On retrouva les mêmes parties civiles lors du procès en appel du 29 mars 2018, y compris le CCIF et son poisson pilote, mais avec deux défections : SOS racisme et la Licra dévastée par les querelles internes suscitées par son initiative. Ce procès aboutit, cette fois encore, à une relaxe le 24 mai 2018, après la requalification de l’incrimination par les parties civiles, comme elles en avaient le droit depuis la loi du 27 janvier 2017. Elles ajoutèrent ainsi, à la provocation à la haine, l’injure et la diffamation en raison de la race et de la religion qui, après l’échec en première instance, pouvaient leur sembler accroître leurs chances de décrocher une condamnation et qui, de toute façon, conduisaient désormais aux mêmes peines (jusqu’à un an de prison et/ou 45 000 euros d’amende). Ainsi, depuis la loi de janvier 2017, quand on a perdu en première instance sur un motif, on peut tenter sa chance en changeant de motif ou en en ajoutant d’autres en appel. Cette requalification de dernière minute avait profondément outré Michel Laval, le défenseur de Georges Bensoussan.
Lors des deux procès, les parties civiles auront joué de tout : racisme biologique par assimilation du lait au sang[2], accusations de fomenter la division entre juifs et musulmans et d’essentialiser les Arabes… sans parler de l’assimilation de Georges Bensoussan aux antisémites français les plus ignobles. Il fut notamment comparé à Xavier Vallat lors du procès en appel.
Leur était insupportable le dévoilement d’un antisémitisme arabo-musulman qui ne devait rien à la France, à la colonisation ou au sionisme comme le voulait la légende. Le joli récit de la bonne entente entre Juifs et Arabes se trouvait par lui sérieusement ébranlé. Ce qui explique aussi le ralliement d’une partie de la gauche qui ne supporte pas que ceux qu’elle a sanctifiés comme victimes aient à rendre des comptes sur un passé qui ne devrait pas tout à la colonisation. Son nouveau « prolétariat » doit rester immaculé.
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Même si elles n’ont pas obtenu des tribunaux ce qu’elles attendaient d’eux – la sanctification juridique du déni – perdre, pour ces associations, n’est pas un gros problème puisque, au final, il restera toujours quelque chose de leur suspicion infamante. Elles auront épuisé le moral et les finances de celui qu’elles ont poursuivi et ruiné sa réputation professionnelle et morale, tout en envoyant un message aux imprudents qui se risqueraient à révéler des vérités interdites.
Au lieu de le défendre, des instances communautaires et élites juives tournèrent aussi le dos à Georges Bensoussan, y compris son employeur – Le Mémorial de la Shoah – qui se débarrassa de lui de manière indigne. Elles se seraient bien passées du dévoilement d’un antisémitisme arabe, même s’il ne leur était pas inconnu, et préférèrent retourner à leur activité ronronnante autour de la Shoah, dont Georges Bensoussan avait pourtant dénoncé les effets pervers. Complices du déni, elles sont prêtes à délaisser les juifs ordinaires pour ne pas déplaire à une élite à laquelle elles s’identifient. En cela elles partagent, avec les autres élites françaises, leur éloignement des préoccupations des gens ordinaires.
Son procès a aussi été celui d’un manquement aux « usages bourgeois de la langue » écrit-il. Il avait dévoilé, sur France Culture, son « illégitimité langagière » de nature sociale. Ce qui, en soi, valait bien un procès et son éviction du monde académique. Mais, si Georges Bensoussan a été traité comme un intrus par le milieu académique, à la manière de Christophe Guilluy, dans son cas, s’est ajoutée à l’éviction à tonalité sociale celle à tonalité communautaire lestée du mépris ashkénaze à l’égard du monde sépharade. Ainsi, Charles Enderlin, dans son livre publié en 2020[6], attribuait-il l’émergence d’un communautarisme juif aux Juifs sépharades venus d’Afrique du Nord parce qu’il leur manquerait « l’esprit d’intégration républicaine » des « Juifs issus de l’Est européen ». Il s’interrogeait sur le nom d’emprunt de l’auteur des Territoires perdus de la République, « à consonance ashkénaze », comme si Georges Bensoussan avait, ce faisant, avoué un sentiment d’infériorité par rapport aux Juifs ashkénazes et voulu ainsi l’effacer.
[2] Nacira Guénif, invoqua même la mécanique des fluides pour en faire la démonstration !
[6] Le Juifs de France entre République et sionisme, Le Seuil, 448 p.