L’ancien président du Conseil constitutionnel et figure du gaullisme, Pierre Mazeaud (92 ans), regrette l’absence d’hommes d’État et dresse un bilan du quinquennat. Il estime qu’Emmanuel Macron «sera réélu d’extrême justesse avec une grande abstention ».
Emmanuel Macron achève dans quelques mois son quinquennat. Quel bilan faites-vous de ses quatre ans et demi à l’Élysée ?
Il a saisi une occasion. Il a compris en 2017 que les partis politiques ne fonctionnaient plus. Il est intelligent, il a foncé et il a été élu. Être intelligent ne fait pas de vous un bon président. Il faut de l’expérience. Il n’avait jamais vécu une élection avant et n’avait pas de parti politique, il n’avait rien sauf quelques amis qui lui ont été fidèles, mais qui n’ont pas une très grande valeur politique. Son erreur a été de les garder. Quand tous les hommes de la France libre, même des héros !, voulaient entrer au gouvernement, de Gaulle leur a dit : « Il n’en est pas question. Soyez députés, on verra après. » Je n’attaque pas les hommes, mais il n’a personne. Il est seul. Parce qu’il est seul, il considère qu’il a raison. […]
Dans la Constitution, je le rappelle, il y a un article qui précise que c’est le gouvernement qui détermine et conduit la politique du pays. Le candidat fait connaître ce qu’il veut faire ; le président donne les grandes orientations. On ne voyait pas le général de Gaulle aux côtés de son ministre de l’Industrie dans une usine pour demander ce dont ont besoin les ouvriers et le leur donner. […]
Emmanuel Macron sera réélu d’extrême justesse avec une grande abstention. Mais il ne pourra rien faire, car il aura une Assemblée contraire. Il y aura une sorte d’alliance entre la gauche et la droite qui veulent la revanche et qu’ils ne voteront aucun texte. […]
L’Europe doit-elle être au cœur de la campagne ?
[…] Il n’y a pas d’union : regardez, nous sommes pratiquement les seuls à gérer la crise au Sahel. L’Europe n’est rien. Elle a des divergences avec le Brexit et la Pologne. Sur ce dernier point, si je ne suis pas un fan du gouvernement polonais, composé de gens d’extrême droite, mais en l’espèce il a raison : la Constitution des nations l’emporte sur la loi européenne. L’Europe n’est pas une nation. […]La politique vous passionne encore !
Oui, mais de loin. Je regarde, je vois quelques vieux copains et des moins vieux. J’essaie de suivre un peu. Ce qui me frappe, c’est la chute du niveau du personnel politique et le manque criant d’hommes d’État. Quand vous pensez que le général de Gaulle passait une journée par semaine – le vendredi, il allait à Colombey – à réfléchir. Il ne recevait personne et ne prenait aucun coup de fil. Il passait le vendredi à se balader dans les jardins pour construire sa vision. Et soixante ans après, on dit : « Quel visionnaire ! » Il a pris le temps d’être visionnaire ! Aujourd’hui, c’est fini. Ils sont toujours en mouvement. Le tout étant aggravé par la présidentielle. La présidentielle, c’est du rock’n’roll tous les cinq ans. Si seulement on pouvait en finir avec cette élection…