L’Histoire de l’art est sans doute passé à côté d’une information de premier ordre. Le peintre flamand Jan Van Eyck (1390-1441) utilisait une machine à perspective très perfectionnée pour représenter l’espace tel que l’œil humain le perçoit. Au moment où les peintres italiens travaillaient la perspective “artificielle “, lui inventait la perspective “naturelle”.
Une découverte pour l’Histoire de l’art, que l’on doit à un scientifique nancéien, Gilles Simon, maître de conférences à l’Université de Lorraine et chercheur au laboratoire d’informatique LORIA (CNRS, Inria, Université de Lorraine). Il a réalisé une analyse probabiliste de cinq tableaux peints par l’artiste entre 1432 et 1439 et a révélé, grâce à des méthodes de vision par ordinateur, que le peintre était en réalité très en avance sur son temps.
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Une « machine à perspective » des plus avant-gardistes
Le dispositif de Jan comportait quatre œilletons répartis équitablement (à l’instar des points de fuite) le long d’un axe de visée incliné. Jan peignait son tableau bande après bande (œilleton après œilleton) de bas en haut ou de haut en bas. La vitre – probablement un miroir – pouvait elle-même être déplacée dans son plan, afin de raccorder au mieux, compte tenu de la parallaxe, le bord de la bande précédemment dessinée à la réalité perçue depuis l’œilleton suivant.
Au plus près de la perception humaine
Notre reconstruction de l’exécution du portrait des Arnolfini permet de voir ce que Jan lui-même voyait à travers les œilletons, et d’observer par exemple la montée du plafond entre la vue du bas et celle du haut finalement retenue pour le plafond (et inversement pour le sol) : Jan semble avoir été soucieux d’éviter les « déformations latérales ».
L’amplification des déformations perspectives sur les bords du tableau n’est pas incorrecte du point de vue de l’optique, mais nous n’y sommes pas habitués parce que le champ visuel de l’œil humain est plus réduit que celui atteint dans une perspective artificielle à courte distance, ou à travers une vitre lorsque le peintre s’autorise à rouler des yeux et à se contorsionner pour élargir son champ visuel immédiat. Il est probable que Jan ne se satisfaisait pas de ces effets inhabituels, et qu’il ait préféré peindre à l’état naturel de repos les objets situés en face de lui, quitte à relever son tabouret en cours d’exécution et à terminer debout pour atteindre l’ensemble de l’espace visible.
Introduction de la vision binoculaire
L’inclinaison de l’axe de visée n’a sans doute pas été laissée au hasard, dans la mesure où elle était évidente à l’œil nu et compliquait le raccordement des bandes. Pour le portrait des Arnolfini, la distance horizontale entre les œilletons situés aux extrémités de l’axe de visée était égale à la distance interpupillaire d’un homme adulte (d’où cette impression de voir un anaglyphe dans la réflectographie infrarouge des Époux). Chacun décidera s’il s’agit d’une coïncidence, mais l’auteur de ces lignes parierait que non. Il imagine Jan fermant alternativement l’œil gauche et l’œil droit, observant les effets de cette action sur la perception de sa propre main et décidant de doter son dispositif des deux options.