« Oser le progrès. » Le programme est ambitieux, pour le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz, qui prend ses fonctions ce mercredi 8 décembre. Le titre du contrat de coalition, que le social-démocrate partage avec les Verts et les Libéraux, fait référence à la formule de Willy Brandt « Nous voulons oser plus de démocratie ». Son contenu – 177 pages – est un appel à la modernisation, voire au changement d’ère, face aux défis sanitaires et climatiques. Une certaine idée de l’Allemagne, pourrait-on dire. Berlin reprend l’initiative, après seize années marquées par le consensus, le pragmatisme et la gestion de crise d’Angela Merkel. Peu amatrice de doctrines, elle se rapprochait davantage d’un Helmut Schmidt qui estimait que les « visions », fussent-elles politiques, méritent consultation chez le médecin.
Voilà de quoi bousculer la France qui avait pris l’habitude d’affirmer ses profondes convictions sans attendre la réponse du partenaire allemand. En 2017, Emmanuel Macron prononçait à la Sorbonne son grand discours sur l’Europe, quand l’Allemagne était à la peine pour former son quatrième gouvernement Merkel. En ce mois de décembre 2021, la situation est inversée. C’est l’Allemagne qui s’invite dans la campagne présidentielle française, avec des partis pris très tranchés – parfois iconoclastes – sur toutes sortes de sujets.
Bien des positions laissent entendre un rapprochement, un mois avant que la France n’assure la présidence tournante de l’UE. Elles sont la plupart du temps assorties d’une nuance. Oui, Berlin fait un pas vers Paris, en disant vouloir « accroître la souveraineté stratégique » de l’Europe, mais la coalition ne cite pas expressément la défense. Des convergences se dessinent en matière de fiscalité, de protection sociale, d’investissements communs, mais le retour au pacte de stabilité (que Paris voudrait réformer) ne semble pas négociable. Oui, l’accord de Paris sur le climat sera respecté, mais grâce aux énergies renouvelables, pas au nucléaire.D’autres promesses sont simplement décoiffantes, si on s’amuse à les transposer dans le débat hexagonal : une Europe fédérale, le vote à 16 ans, l’immigration ouverte, le cannabis légalisé… Les partenaires de la coalition avaient promis de se mettre en ordre de marche avant Noël. Voilà qui est fait. À la France de répondre.
[…]Le projet de Berlin. Le nouveau gouvernement Scholz prévoit « un nouveau départ dans la politique de migration et d’intégration, comme cela convient à un pays d’immigration moderne ». Les trois nouveaux partenaires de coalition veulent faciliter l’accès à la nationalité allemande pour les enfants nés en Allemagne de parents étrangers, et élargir la possibilité de double nationalité. Berlin souhaite toujours « réduire l’immigration illégale », accélérer les rapatriements des individus sans possibilité de rester sur le territoire, mais entend faciliter le regroupement familial pour les migrants ayant reçu une protection dans le pays. En matière d’immigration économique, l’exécutif défend une politique « prévoyante et réaliste », via une loi organisant l’accueil de 400 000 personnes par an. Ces chiffres suivent les prévisions faites depuis des années. L’Allemagne, qui est en déclin démographique, manque plus encore que la France de main-d’œuvre qualifiée dans l’industrie, les services et le médical. Sur le modèle canadien, le pays pourrait bientôt se doter d’un système à points afin d’attirer les profils recherchés. La nouvelle coalition prône enfin un retour des financements publics pour les missions de sauvetage des migrants en Méditerranée.
Vu de Paris. La ligne défendue à Berlin paraît intenable dans l’Hexagone, où l’immigration est devenue le thème central du début de campagne présidentielle, avec pour mot d’ordre son contrôle. Dans le cadre de la présidence française de l’UE, Emmanuel Macron prévoit un traité d’amitié avec l’Afrique pour endiguer les départs. La candidate LR Valérie Pécresse ainsi que Marine Le Pen défendent la tenue d’un référendum dans le but de la limiter. Éric Zemmour promet l’« immigration zéro ». Un slogan auquel souscrivent quatre Français sur dix, selon des enquêtes d’opinion.
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