Pour autant, l’analyse des résultats montre que certains segments de la population sont très réceptifs aux préjugés antisémites. Les hommes et les Français âgés de plus de 65 ans sont ainsi globalement plus enclins à nourrir des préjugés contre les Juifs, autant de publics habituellement plus réceptifs par ailleurs aux idées racistes et homophobes. La diffusion des préjugés antisémites est également plus répandue à l’extrême gauche et à l’extrême droite. Ainsi, l’affirmation selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » est partagée par 33% des répondants au sein de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon et par 34% des proches de La France insoumise, par 39% de l’électorat de Marine Le Pen et par 33% des proches du Rassemblement national, contre 26% dans l’ensemble de la population. Cependant, il faut noter une évolution importante : pour les sympathisants de La France insoumise, l’adhésion à l’idée selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » est en 2021 (34%) au même niveau que nous l’avions mesuré en 2014 (33%), tandis que, pour les sympathisants du Rassemblement national, cette idée est en net recul, passant de 50% en 2014 à 33% en 20211.
La haine d’Israël est largement considérée comme la première source d’antisémitisme. Pour autant, l’accusation dite de « double allégeance » consistant à accuser les Juifs d’être plus fidèles à Israël qu’à la France est plutôt considérée comme une critique légitime (39%). On trouve autant de Français considérant comme légitime le fait d’accuser les Juifs d’être responsables de la politique d’Israël (33%) que de Français considérant que cela relève d’une opinion antisémite (34%) ou de Français qui ne savent pas (33%), ceci témoignant des difficultés à appréhender le phénomène de ce « nouvel antisémitisme » lié à la haine d’Israël, aux ressorts effectivement complexes.
Par ailleurs, il faut souligner que 49% des Français ont une bonne image d’Israël (contre 22% qui en ont une mauvaise image), à l’exception notable des proches de La France insoumise qui sont sensiblement plus nombreux que la moyenne à en avoir une mauvaise image (38%, tandis que 37% des répondants proches de La France insoumise disent avoir une bonne image d’Israël). Les électeurs de La France insoumise sont également 30% (contre 16% chez l’ensemble des Français) à considérer qu’utiliser les vieux préjugés antisémites pour désigner les Israéliens relève d’une critique légitime plutôt que d’une opinion relevant de l’antisémitisme ; ils sont 43% (contre 33% pour l’ensemble des Français) à considérer qu’accuser les Juifs d’être responsables de la politique d’Israël relève également plutôt d’une critique légitime. Par ailleurs, 70% des électeurs La France insoumise se sont exprimés contre (versus 40% pour l’ensemble des Français) les interdictions de manifestations organisées en soutien à la cause palestinienne en raison du risque de débordements à caractère antisémite. (…)
Notons par ailleurs que cette idée plus générale selon laquelle on « en fait trop » sur l’antisémitisme, si elle est globalement de moins en moins partagée par l’ensemble des Français, persiste dans certaines catégories de la population : ceux qui s’informent via les blogs ou les forums sur Internet sont les plus nombreux à penser que l’on parle trop d’antisémitisme (27%, contre 15% en moyenne pour l’ensemble de la population), de même chez les électeurs de La France insoumise (22%), ceux du Rassemblement national (20%) et les sympathisants du mouvement anti-vaccins (22%).
(…)
Selon nos données, 15% des musulmans reconnaissent éprouver de l’antipathie pour les Juifs, soit une proportion supérieure de 10 points à celle mesurée dans l’ensemble de la population française. Plus encore, c’est concernant l’adhésion aux préjugés que les écarts avec le grand public sont les plus spectaculaires. L’idée d’une mainmise des Juifs sur les médias (54%, + 30 points par rapport à la population française dans son ensemble) ou sur l’économie et la finance (51%, + 27 points) est ainsi partagée par plus d’une personne de confession musulmane sur deux. L’analyse détaillée des résultats infirme l’hypothèse d’un antisémitisme imputable à des raisons socio-économiques. En effet, les niveaux d’adhésion aux préjugés sont également très élevés parmi les cadres ou les diplômés de l’enseignement supérieur. Les opinions antisémites sont par ailleurs répandues aussi bien parmi les musulmans originaires du Maghreb que parmi ceux originaires d’Afrique subsaharienne. Comme nous l’avions relevé dans notre enquête de 2014, l’adhésion aux préjugés est liée à l’intensité de la fréquentation des lieux de culte : ainsi, 61% des musulmans qui se rendent à la mosquée toutes les semaines estiment que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance », contre 40% parmi les non-pratiquants2. Toutefois, chez les musulmans, on observe que certains préjugés antisémites sont moins répandus parmi les nouvelles générations. Ainsi, 60% des musulmans de plus de 50 ans considèrent que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine des médias », contre 40% chez les musulmans de 18-24 ans. De même, 59% des musulmans de plus de 50 ans estiment que « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » contre 34% chez les 18-24 ans.
L’analyse approfondie des résultats permet de mieux comprendre les logiques sous-jacentes à cet antisémitisme. L’étude qualitative AJC-Fondation pour l’innovation politique, administrée par l’Ifop en 2017, a montré qu’une partie des musulmans exprimait spontanément le sentiment d’être lésée par les médias et les pouvoirs publics3. Certaines personnes interrogées par le biais d’entretiens semi-directifs expliquaient que les Français juifs bénéficiaient d’un « traitement de faveur » qui, selon ces personnes, prenait la forme d’une indignation exprimée par les médias et les pouvoirs publics avec plus de zèle lors d’actes antisémites que lors d’agressions visant des musulmans. Les résultats de l’enquête permettent de mesurer, au moins en partie, le poids de telles opinions dans la population musulmane française. Plus d’un tiers des personnes interrogées estiment que l’on parle trop de l’antisémitisme (36%), soit un résultat très supérieur à celui mesuré pour l’ensemble de la population française (15%). En outre, il est intéressant de noter que le rapport à l’affaire Sarah Halimi diffère assez sensiblement selon les deux échantillons : alors que la décision de justice suscite très largement incompréhension et désapprobation (72%) au sein de l’opinion publique française dans son ensemble, les personnes interrogées de confession musulmane sont nettement moins nombreuses à partager cette incompréhension et cette désapprobation (56%).
Depuis une vingtaine d’années, les témoignages de professeurs d’histoire faisant état de difficultés croissantes à enseigner la mémoire de la Shoah se sont multipliés. Les enjeux de concurrence mémorielle sont au coeur du retour des discours antisémites, comme en atteste la trajectoire de l’humoriste Dieudonné ou les mouvances indigénistes. Le polémiste a progressivement basculé dans un antisémitisme revendiqué, imputant dès 2005 son incapacité à obtenir des subventions pour la réalisation d’un film sur la traite négrière aux « sionistes » et au « lobby juif ». Nous avons donc tenté d’appréhender le poids de ces enjeux liés à la « concurrence des mémoires » au sein de la population française. L’idée selon laquelle la commémoration de la Shoah empêche la prise en compte d’autres drames de l’histoire rencontre un écho auprès d’un tiers des Français (35%), mais elle est nettement plus répandue chez les Français de confession musulmane (59%).
Notons par ailleurs que cette idée plus générale selon laquelle on « en fait trop » sur l’antisémitisme, si elle est globalement de moins en moins partagée par l’ensemble des Français, persiste dans certaines catégories de la population : ceux qui s’informent via les blogs ou les forums sur Internet sont les plus nombreux à penser que l’on parle trop d’antisémitisme (27%, contre 15% en moyenne pour l’ensemble de la population), de même chez les électeurs de La France insoumise (22%), ceux du Rassemblement national (20%) et les sympathisants du mouvement anti-vaccins (22%).
Partie
L’antisémitisme : opinions et perceptions à l’égard du phénomène
Le sentiment que l’antisémitisme est un phénomène répandu et en augmentation (en %)
Le sentiment que l’on parle trop, suffisamment ou pas assez de l’antisémitisme (en %)
Copyright :
La perception des causes de l’antisémitisme en France [1/2] (en %)
La perception des causes de l’antisémitisme en France [2/2] (en %)
Le sentiment que l’antisémitisme concerne seulement les Juifs ou, différemment, la société dans son ensemble (en %)
La persistance des opinions antisémites dans la population française
La sympathie ou l’antipathie éprouvée pour différentes catégories ou groupes de personnes [1/2] (en %)
La sympathie ou l’antipathie éprouvée pour différentes catégories ou groupes de personnes [2/2] (en %)
L’adhésion à certains préjugés concernant les Juifs [1/5] (en %)
Évolutions depuis 2014
L’adhésion à certains préjugés concernant les Juifs [2/5] (en %)
L’adhésion à certains préjugés concernant les Juifs [3/5] (en %)
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Ifop | AJC | Fondation pour l’innovation politique – janvier 2022 Copier le lienPartager ce visuelTéléchargerEnvoyer par mailPartager sur FacebookPartager sur TwitterPartager sur Linkedin
L’adhésion à certains préjugés concernant les Juifs [4/5] (en %)
L’adhésion à certains préjugés concernant les Juifs [5/5] (en %)
L’adhésion à l’idée selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » [1/2] (en %)
L’adhésion à l’idée selon laquelle « les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance » [2/2] (en %)
L’importance accordée à la commémoration de la Shoah (en %)
Le sentiment que la commémoration de la Shoah empêche l’expression d’autres drames de l’histoire (en %)
L’antisémitisme au quotidien : état d’esprit des Français de confession ou de culture juive
Le sentiment d’être menacé en raison de son appartenance religieuse, son orientation sexuelle, son sexe ou ses origines (souvent/de temps en temps) [1/2] (en %)
Le sentiment d’être menacé en raison de son appartenance religieuse, son orientation sexuelle, son sexe ou ses origines (souvent/de temps en temps) [2/2] (en %)
Le niveau d’optimisme à l’égard de l’avenir (en %)
Le profil des Juifs qui se sentent souvent ou de temps en temps menacés en raison de leur appartenance religieuse (en %)
Les actes antisémites : observation et victimation
L’exposition à des actes antisémites [1/2] (en %)
L’exposition à des actes antisémites [2/2] (en %)
Évolutions par rapport à 2019
L’exposition à des actes antisémites et le port des signes distinctifs (en %)
:
Les lieux d’exposition à des agressions verbales antisémites et le port de signes religieux (en %)
:
Les lieux d’exposition à des agressions verbales antisémites [1/2] (en %)
Évolutions depuis 2019
:
Les lieux d’exposition à des agressions verbales antisémites [2/2] (en %)
Ensemble des victimes
Le profil des Juifs ayant subi des insultes antisémites (en %)
Les lieux d’observation d’une agression ou d’un propos antisémite (en %)
Les comportements d’évitement, les stratégies de dissimulation
« Vous arrive-t-il de demander à votre enfant d’adopter des comportements d’évitement pour les protéger de l’antisémitisme ? » (en %)
:
« Avez-vous déjà envisagé de quitter la France ? » (en %)
Le profil des Juifs qui ont déjà envisagé de quitter la France (en %)
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L’opinion sur l’interdiction de manifester en soutien à la cause palestinienne de mai 2021 (en %)
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L’opinion sur la décision de justice dans l’affaire Sarah Halimi (en %)
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Le sentiment que différentes opinions liées à Israël ou aux Juifs sont antisémites ou antisionistes [1/3] (en %)
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Le sentiment que différentes opinions liées à Israël ou aux Juifs sont antisémites ou antisionistes [2/3] (en %)
Le sentiment que différentes opinions liées à Israël ou aux Juifs sont antisémites ou antisionistes [3/3] (en %)